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Autour du prix des lunettes, c’est le grand méchant flou
jeudi, 19 décembre 2013 / Cécile Cazenave

470 euros en moyenne : nos binocles coûtent deux fois plus cher en France que chez nos voisins. Mais pourquoi fermons-nous tous les yeux ?

Contrairement à ce que l’on attend d’elles, les lunettes sont opaques. Au départ, c’est pourtant simple, il faut deux verres et une monture. Les carreaux ont deux chances sur trois d’avoir été produits par le groupe français Essilor, leader mondial de l’optique ophtalmique. Il fabrique 430 millions de verres chaque année pour cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires. Quant à savoir si les vôtres, de carreaux, ont été moulés dans l’un des trois sites de production hexagonaux, rien n’est moins sûr. Une seule usine, à Dijon (Côte-d’Or), vient de se lancer dans le label « Origine France garantie » pour certains verres de haute technologie. C’est de toute façon l’opticien qui choisira les verres pour vous. Alors, pour exiger de la silice made in France, il faudra se lever tôt.

Montures transalpines

Côté monture, ça se corse. Qu’elle soit en bois, résine, plastique, écaille ou macramé, la monture circule. Vous avez trois chances sur quatre qu’elle sorte d’une usine Luxottica, numéro 1 mondial italien du secteur. Il produit 65 millions de montures chaque année, dont une grande partie en Chine, sous des marques diverses et variées. En France, le Jura abrite encore un repaire de lunetiers. 10 millions de montures y sont fabriquées, dont la moitié exportée. Les Jurassiens estiment que 10 % à 15 % des montures vendues chez un opticien bleu-blanc-rouge seront fabriquées en France. Encore faudra-t-il les identifier…

Peut-on au moins compter sur les grandes marques – so french – de la haute couture pour faire travailler les Jurassiens ? Raté. « Les couturiers, ce sont les Italiens qui les font, corrige Jérôme Colin, président du Syndicat des lunetiers du Jura. D’ailleurs pour le même tarif, dans une monture siglée, 90 % du prix sera dans le marketing. Dans une monture faite en France, 90 % du prix sera dans la fabrication. »

La seconde paire et Johnny

Le prix, justement, c’est la pomme de discorde. L’association de consommateurs UFC-Que Choisir a essayé de le découper il y a moins d’un an. Ce décorticage a tourné à la foire d’empoigne. Il faut dire que les binocles ne sont pas donnés : 470 euros en moyenne pour une paire à votre nez. Dans le collimateur du rapport, les opticiens, accusés d’empocher à eux seuls 70 % du prix moyen hors taxes d’une paire, soit 275 euros. Ce qui représente une somme, puisque les Français en achètent 13 millions chaque année, pour un budget total de 4,7 milliards d’euros. « Nous sommes des professionnels de santé, nous fournissons un travail de transformation qui représente une valeur ajoutée », se défend Christian Roméas, président du Syndicat des opticiens entrepreneurs (Synope) qui parle pour les groupes Lissac, Krys et Optic 2 000, entre autres. UFC-Que Choisir a en effet chiffré cette prestation à 48 euros… et l’a comparée aux 200 euros de dépenses de fonctionnement et de marketing ! La faute à la concurrence qui fait rage, plaide le Synope, et oblige les opticiens à offrir une seconde paire quand un client achète la première… et à verser un cachet à Johnny.

Les Français se feraient-ils plumer ? Affirmatif, dit le rapport. Et pour cause, bien remboursés qu’ils sont par leur complémentaires santé, ils avalent sans broncher une dépense annuelle de moitié supérieure à la moyenne européenne. « Rien n’oblige le consommateur à dépenser beaucoup pour ses lunettes !, tient à préciser Christian Roméas. Mais les Français veulent des produits sophistiqués et sont fiers de porter de belles lunettes. Regardez les Allemands avec leurs doubles-foyers (verres épais permettant une double correction, ndlr), plus personne ne porte ça chez nous ! » Sacrés Frenchies ! Toujours sur leur 31 et des oursins dans les poches…

La solution du circuit court

« En réalité, tout le monde se gave sur le client : comment un objet a priori moins sophistiqué qu’un smartphone ou qu’un ordinateur peut-il atteindre des sommes équivalentes ? », lance Antonin Chartier. Depuis trois ans, sa PME, Jimmy Fairly – « fairly » pour équitable –, propose des lunettes design pour 95 à145 euros. Le secret ? Le circuit court. Pas d’intermédiaire entre ce concepteur-vendeur et les usines de fabrication. Les modèles sont dessinés dans les ateliers parisiens, les montures, fabriquées à la main en Italie, et les verres viennent d’une filiale d’Essilor. Pas de grossiste, pas de marketing. « On ne propose que 50 modèles plutôt que 3 000 et on applique les méthodes du e-commerce à notre boutique », explique Antonin Chartier. Economie de mètres carrés, centralisation des ateliers de montage : à ce tarif-là, la PME y voit clair dans son plan de carrière. Après la capitale, des boutiques devraient s’ouvrir à Aix, Toulouse, Lyon, Bordeaux. Et surtout, Jimmy Fairly commence à proposer ses services aux Allemands. Vous savez, ces ploucs à doubles-foyers mal remboursés… —

Le regard qui valait des milliards

Un milliard de dollars, soit 730 millions d’euros : ce sont les gains annoncés aux entreprises qui équiperont leurs employés de « Google glasses », ces lunettes connectées à 1 100 euros. De son côté, l’Organisation mondiale de la santé estime à plus de 295 milliards d’euros la perte de productivité des 700 millions de personnes pauvres qui ont besoin de lunettes mais n’y ont pas accès. Des innovations, comme le projet allemand One Dollar Glasses ou le système de correction universel à faible coût développé par l’ONG néerlandaise Focus on Vision, tentent d’y remédier. —

L’étude de l’UFC-Que Choisir sur la distribution de l’optique

Le site de Jimmy Fairly

Le site du Syndicat des opticiens