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Taxe carbone : si on allait plus loin ?
lundi, 31 août 2009 / Louise Allavoine , / Ho-Yeol Ryu

La contribution climat-énergie est brandie comme un trophée par le gouvernement. Pourtant, la carte individuelle de CO2 et la « TVA » du carbone seraient de vraies mesures pionnières.

« C’est une mesure révolutionnaire », jugeait cet été le leader d’Europe Ecologie, Daniel Cohn-Bendit. Pourtant, l’instauration d’une taxe carbone ne ferait pas de l’Hexagone un pays avant-gardiste. La Finlande a mis en place un tel système dès 1990. Depuis, d’autres ont suivi, comme la Suède, le Canada ou le Danemark. En France, l’idée de taxer le CO2 a conquis l’espace politique grâce à Nicolas Hulot, à la veille de la présidentielle de 2007. Revendiquée dans le Pacte écologique signé par le candidat Sarkozy, elle est ensuite embarquée dans le Grenelle de l’environnement en octobre 2007, sous le nom de Contribution climat énergie (CCE). Mais ce n’est qu’en juin dernier qu’elle fait son grand retour, dans la foulée du score d’Europe Ecologie aux européennes. La CCE pourrait pointer son nez dès 2010, mais voyons encore plus loin.

LA CONTRIBUTION CLIMAT-ENERGIE

Le principe : la CCE est une taxe prélevée sur les consommations d’énergies : gaz, charbon, fuel, essence, diesel – l’électricité est en suspens – en fonction de leur contenu en carbone. Chaque fois qu’une société ou un particulier achète de l’énergie, l’Etat perçoit une somme correspondant à la quantité de CO2 émise par l’énergie consommée. Mais donner un prix au dioxyde de carbone, c’est une vraie prise de tête. «  Il faut qu’il soit suffisamment élevé pour être efficace et suffisamment bas pour ne pas trop affecter les agents économiques », explique Stéphane Hallegatte, économiste au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement.

Pour éviter les chocs, le coût du CO2 devrait d’abord s’élever à 32 euros la tonne et filer jusqu’à 100 euros d’ici à 2030. Suffisant pour diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 ? Difficile de savoir. Pour Jacques Le Cacheux, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, une CCE à 32 euros est trop faible pour modifier les comportements. Il propose donc un système plus ambitieux : s’attaquer à tout ce qui se vend.

UNE TAXE SUR LE CARBONE AJOUTÉ

Le principe : Directement inspirée de la TVA, elle serait calculée en fonction de la quantité de CO2 émise sur la totalité du cycle de vie de tous les biens et services. La taxe sur le carbone ajouté (TCA) n’existe nulle part.

Pourquoi c’est plus ambitieux. En s’attaquant directement aux biens et services et pas seulement aux énergies, la TCA toucherait tous les secteurs d’activité et ferait prendre conscience au consommateur du réel coût CO2 des produits. Entre des tomates de Marmande et d’autres de l’hémisphère Sud – nécessitant donc beaucoup de transport –, il n’y aurait plus photo. Et qui dit impact immédiat à la caisse, dit changement de comportement garanti. Comme la CCE, elle toucherait fortement les ménages modestes, mais serait plus diffuse que cette dernière qui plombe spécialement les budgets chauffage et transport. Autre avantage : elle ne nuirait pas à la compétitivité des entrepises hexagonales, car elle concernerait tous les produits, français et importés. A l’inverse de la CCE.

Pourquoi c’est plus compliqué. Il faudrait déterminer le poids en carbone de chaque bien et service. Combien d’émissions de CO2 a entraîné la fabrication de chaque pièce de mon téléphone portable, son acheminement, sa transformation en usine, son transport vers les lieux de distribution et son recyclage ? « Le calcul est extrêmement complexe, impossible à réaliser en peu de temps et les données changent rapidement. Une fraise n’a pas le même bilan carbone d’une saison à l’autre », explique Alain Grandjean, de Carbone 4, cabinet d’audit et de conseil en carbone, et membre du Comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot. « C’est techniquement moins facile, concède Jacques Le Cacheux. Mais beaucoup d’entreprises réalisent déjà le bilan carbone de leurs produits. Il faudrait généraliser cette nouvelle comptabilité. Nous avons les compétences. Deux ou trois ans seraient suffisants. »

LA CARTE INDIVIDUELLE DE CO2

Le principe : Chacun disposerait d’un « crédit individuel de CO2 » alloué en début d’année par l’Etat et matérialisé par une carte à puce. A chaque passage en caisse, votre compte serait débité du montant en carbone du produit convoité. Les consommateurs les plus vertueux pourraient revendre leur surplus de crédits aux plus pollueurs, qui seraient donc pénalisés. « C’est la logique des quotas de CO2 déclinée aux particuliers », résume Sandrine Rousseaux, chargée de recherche au CNRS de Nantes. L’idée, développée par des chercheurs anglais, a fait l’objet d’un projet de loi présenté en 2004 outre-Manche.

Pourquoi c’est plus ambitieux. Contrairement à la CCE et la TCA, ce quota personnel nous assure d’atteindre nos objectifs. La quantité de crédits alloués par l’Etat dépend en effet directement de la quantité d’émissions que celui-ci s’autorise. Visibilité assurée. Par ailleurs, ce système serait plus équitable, les personnes à faible revenu disposant du même crédit que les plus aisées.

Pourquoi c’est plus compliqué. Comme la TCA, cela suppose une traçabilité carbone des produits. Alain Grandjean formule donc la même critique : « De plus, comment déterminer le montant de CO2 qu’on attribue à chacun des 63 millions de Français ? » Même son de cloche de la part de Stéphane Hallegatte : « Tout le monde n’a pas des heures à consacrer à la gestion de son bugdet carbone. C’est ingérable pour les ménages. » Jacques Le Cacheux, lui, n’est pas contre, dans la mesure où le cours du carbone reste haut. Mais il faudrait pour cela faire confiance au marché. « Et on a vu récemment où cette confiance nous a menés… » —

Photo : Flughafen 2005, de Ho-Yeol Ryu

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