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« Le développement durable n’est pas un luxe réservé aux sociétés développées »
vendredi, 20 décembre 2013 / François Meurisse /

Rédacteur en chef édition

De retour en France après un an de reportages, Corinne Moutout dresse le bilan de son tour du monde des initiatives durables, principalement dans les pays du Sud.

Au moment de démarrer ce tour du monde, quelles interrogations aviez-vous dans votre sac à dos ?

Quand je suis partie, je sortais d’un master en développement durable. Je n’en avais donc qu’une connaissance théorique, que je voulais confronter au terrain. Il s’agissait de savoir si le développement durable était un facteur de développement dans les pays où je me suis promenée, des pays du Sud en très grande majorité. On a également tendance à dire que le développement durable est un luxe ou que c’est l’apanage des pays développés. Je voulais donc voir si, dans ces pays du Sud, il y avait des initiatives réussies, c’est-à-dire adaptées au contexte, efficaces et qui rencontrent l’adhésion de la population.

Protection de la biodiversité, changement climatique, énergies de demain… Quelles thématiques semblent être les mieux comprises au Sud ?

En fait, ce qui m’a frappée, c’est que les initiatives qui sont réussies sont celles qui englobent plusieurs thématiques. Ce sont des initiatives simples, peu coûteuses, de bon sens presque. Il faut aussi qu’elles soient parfaitement adaptées au contexte. Les biodigesteurs fonctionnent au Sénégal ? C’est parce que 80% de la population est rurale. Le système des Conservancies fonctionne en Namibie ? C’est parce que la cohabitation avec la faune est un enjeu majeur. L’expérience de Khayelitsha fonctionne au Cap ? C’est parce qu’elle s’attaque aux fléaux des townships d’Afrique du Sud : chômage, insécurité, etc.

D’où viennent ces initiatives ?

Elles naissent dans la société civile et sont portées par des individus ou des ONG – qui commencent à « penser durable », sur les effets au sens large de leurs programmes. Ce qui a changé ces dernières années, c’est qu’on inclut les populations locales comme partie prenante, on se rend compte que c’est un facteur de succès. On cherche leur adhésion et on fabrique de l’empowerment. En quelque sorte, les populations négligées prennent le pouvoir.

Ces initiatives sont également toutes « bottom-up » : elles viennent de la société civile et remontent vers les autorités. C’est le cas notamment de Khayelitsha, où le pouvoir a suivi. Quand c’est un processus inverse, c’est une usine à gaz et c’est un échec. Ç’a été le cas avec le système des « paiements pour services environnementaux » au Vietnam. Et pourtant, j’y croyais à cette politique environnementale globale, censée aller plus loin qu’un simple instrument. Mais à l’arrivée, c’est un contre-exemple.

C’est enfin parfois une affaire d’entreprises, comme Natura, au Brésil, ou Vortex, en Inde. Ce que ce tour du monde m’a montré, c’est que l’innovation n’est pas que technologique, elle dépend d’innovateurs sociaux, souvent issus du tissu traditionnel, qui en sont sortis pour penser plus large.

Quelles sont les difficultés que rencontrent ces innovateurs ?

Les limites, ce sont celles que mettent les autorités quand ces initiatives commence à « coûter », surtout dans un contexte de crise. Ce ne sont pas des limites de marché : quand Taddy Blecher veut créer une élite noire en Afrique du Sud, il rencontre l’adhésion des entreprises. Pour les Conservancies, en Namibie, c’est pareil : les permis de chasse augmentent, etc. La frilosité vient de l’Etat. Globalement, il faut que ces initiatives soient autonomes du pouvoir central pour pouvoir fonctionner.

Quelles leçons peuvent retirer les pays du Nord de ces expériences ?

Une en particulier : il faut oser des associations insolites : l’entreprise Natura au Brésil avec des communautés amérindiennes. En Argentine, un organisme de gestion des déchets et des scientifiques…. Ce sont des associations qui ne coulent pas de source, avec des partenaires qui ne sont pas des partenaires traditionnels, et ça marche !

Si vous ne deviez retenir qu’une seule rencontre…

Sans aucun doute, le professeur Gupta, en Inde. C’est la personne qui m’a le plus inspirée depuis Nelson Mandela (Corinne Moutout l’a côtoyé de 1991 à 1995, quand elle était correspondante de Libération en Afrique du Sud, ndlr). Comme lui, il montre du courage et de l’humour. Et à plus de 70 ans, il parcourt encore l’Inde et attire des millions de personnes. Comme il le dit, l’Inde est le seul pays à financer l’innovation qui vient de la base. C’est une réussite d’empowerment de la population locale. Cela m’a inspirée et m’a confirmé que le développement durable n’est pas un luxe réservé aux sociétés développées, c’est à la portée de tous.

Un deuxième tour du monde est-il au programme ?

Si on me dit : « Tu pars demain », je signe !




RETROUVEZ ICI L’INTÉGRALITÉ DES REPORTAGES DE CORINNE MOUTOUT

SÉNÉGAL Au Sénégal, la bouse fait bouillir la marmite Grâce à un programme-pilote, des familles rurales bénéficient de biodigesteurs transformant les déjections animales en méthane. Elles utilisent ainsi le gaz pour la cuisson des aliments et les effluents pour les cultures de maïs.
SÉNÉGAL Les Sénégalaises cueillent les fruits de leur indépendance Dans l’est du pays, 4 000 villageoises conçoivent des cosmétiques bios à base de karité et de baobab et redonnent vie à des savoir-faire ancestraux. En redécouvrant la biodiversité locale, elles ont accédé à l’autonomie financière.
NAMIBIE Les Himbas se font gardiens du temple de la faune de Namibie Dans ce pays d’Afrique australe, le « Peuple d’ocre » a vu disparaître le braconnage sur son territoire grâce aux « Conservancies », un système unique qui mêle gestion environnementale, chasse et tourisme.
AFRIQUE DU SUD En Afrique du Sud, la justice scolaire a trouvé son maître En 2000, Taddy Blecher a créé la première université gratuite du pays, à destination de la majorité noire. Depuis, il innove sans relâche pour assurer la prospérité économique des jeunes défavorisés.
AFRIQUE DU SUD Au Cap, Khayelitsha n’a pas fait de quartier avec la violence Au cœur de ce township, le secteur d’Harare était l’un des plus dangereux d’Afrique du Sud. Mais, depuis 2005, un vaste programme de rénovation urbaine mené avec la population a transformé la vie du quartier : la criminalité a chuté et les habitants peuvent bénéficier d’une formation professionnelle.
INDE En Inde, les distributeurs de billets se font une place au soleil En Inde, plus d’un demi-milliard de paysans sont exclus du système bancaire. Pour y remédier, une entreprise basée à Chennai a inventé des appareils automatiques solaires très économes.
INDE En Inde, le trek qui traque les idées neuves Depuis 1989, le professeur Gupta et son Honey Bee Network multiplient les marches dans les villages reculés du pays pour collecter les inventions des paysans. Objectif : les diffuser et améliorer leurs conditions de vie.
VIETNAM Les espoirs abattus de la forêt vietnamienne Pour lutter contre le déboisement, le régime de Hanoï a adopté, il y a cinq ans, le concept des « paiements pour services environnementaux ». Le principe ? Faire rémunérer les populations qui protègent la nature par les entreprises qui l’« utilisent ». Mais du papier à la réalité, il y a un gouffre.
NOUVELLE-ZÉLANDE La résurrection en carton de la cathédrale de Christchurch Datant du XIXe siècle, l’édifice n’a pas résisté au séisme de 2011. La ville néo-zélandaise a alors fait appel à l’architecte japonais Shigeru Ban pour reconstruire un lieu de culte en matériaux recyclés. Et l’expérience, censée être temporaire, pourrait durer… cinquante ans.
ARGENTINE En Argentine, l’énergie de demain pousse sur les ordures Au sud de Buenos Aires, le dépotoir le plus ancien et le plus controversé du pays opère sa mue écologique. L’idée ? Y produire des agrocombustibles. Pour cela, il a fallu réhabiliter le sol et y mettre en culture des plantes aux propriétés étonnantes.
BRÉSIL En Amazonie, le filon cosmétique de la biodiversité A São Francisco, au cœur de la forêt équatoriale, le grand groupe de cosmétiques brésilien Natura s’appuie sur les pratiques ancestrales d’une communauté indigène pour monter un business écolo et rentable. Histoire d’un partenariat où tout le monde est gagnant.
ÉTATS-UNIS Dans l’Ouest américain, on adopte bien les chevaux Menacés d’extinction, les mustangs ont reconquis le Far West en quarante ans. Si bien qu’aujourd’hui il faut les capturer par milliers, avant de leur trouver une famille d’accueil.

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