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Les agriculteurs seront-ils bientôt poursuivis pour contrefaçon ?
mercredi, 27 novembre 2013
/ Amélie Mougey
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Le Sénat a adopté, la semaine passée, un texte renforçant la lutte contre la contrefaçon. Les paysans qui produisent leurs semences eux-mêmes se sentent menacés. A juste titre ?
Haro sur les faux sacs Vuitton et la reproduction illicite… de grains de maïs. Le Sénat a voté, mercredi 20 novembre, une proposition de loi « tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon ». Aussitôt, la coordination rurale, le comité Semons la biodiversité, et la CNDSF (Coordination nationale pour la défense des semences fermières) se sont fendus de communiqués enflammés fustigeant une « loi scélérate » ou réclamant des amendements avant son examen à l’Assemblée. Les raisons de leur colère ? Sur la liste des branches de la propriété intellectuelle concernées par le texte on retrouve les « obtentions végétales », c’est-à-dire les variétés vendues aux agriculteurs par les semenciers. Le Réseau semences paysannes voit dans ce texte « un arsenal répressif » mis à disposition des semenciers pour venir à bout des agriculteurs récalcitrants à leur passer commande tous les ans. Le Groupement national interprofessionnel des semenciers (Gnis) parle de « fantasmes ». Terra eco fait le point.
En France, un agriculteur peut-il être accusé de contrefaçon ?
Oui. C’est là la principale source de crispations. « Etre assimilés aux réseaux mafieux et bandes organisées alors qu’on perpétue une pratique agricole vieille de plusieurs millénaires, c’est humiliant », s’emporte Jean-Louis Courtot, président de la CNDSF. Le texte en question, destiné à donner plus de moyens d’action aux douaniers, ravive le débat délicat des droits de propriété sur le vivant. « Mettre sur le même plan une semence, une montre et une pièce détachée automobile est insensé », renchérit Guy Kastler, délégué général du Réseau semences paysannes. Ce traitement juridique sans distinction n’est pourtant pas nouveau : la loi sur la contrefaçon de 2007 mentionnait déjà les obtentions végétales.
Comment expliquer que les agriculteurs qui récupèrent des semences d’une année sur l’autre soient hors-la-loi ?
En évoquant la propriété intellectuelle. Depuis la Convention internationale de l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV) de 1961, la plupart des semences sont protégées par un Certificat d’obtention végétale (COV). Sortes de brevets allégés, les COV autorisent la recherche et la sélection sur les variétés protégées mais interdisent de les reproduire en vue de les réutiliser une deuxième année. Les semenciers voient dans ce compromis la garantie d’un juste retour sur investissement. « Il s’agit de soutenir et de protéger la recherche, si les agriculteurs arrêtent de payer après la première année, les obtenteurs (les créateurs de nouvelles variétés, ndlr) ne récoltent jamais le fruit de leur travail », expose Isabelle Ferrière, responsable de la communication au sein de l’Union française des semenciers (UFS). Pour Guy Kastler au contraire, « les semenciers monétisent le fruit de siècles de sélections de variétés réalisées gratuitement par les agriculteurs ».
Quelle part des cultures françaises est concernée ?
Les Certificats d’obtention végétale couvrent plus de 95% des cultures françaises. La quasi-totalité des agriculteurs qui produisent des semences de ferme sont donc hors-la-loi. Seuls les utilisateurs de variétés tombées dans le domaine public (400 sur les 6000 répertoriées) et un petit millier d’agriculteurs militant pour la préservation et la multiplication des variétés anciennes (1), non protégées par un certificat, font figure d’exceptions.
La loi est-elle respectée ?
Pas vraiment. En dépit de l’interdiction, la moitié des récoltes de colza sont issues de semences de ferme. Pourtant, en dix ans, la Sicasov, sorte de Sacem de la graine, n’a instruit que 103 dossiers. Après 55 passages au tribunal, 26 agriculteurs ont été condamnés. « La Sicasov ne se concentre que sur les gros cas, les plus symboliques, quand il y a commercialisation », avance François Burgaud, directeur des relations publiques du Gnis. L’explication de Guy Kastler diffère : « La contrefaçon de semences est très difficile à prouver, les analyses coûtent cher. » Alors, depuis le 8 décembre 2011 une loi autorise, pour 21 espèces, les agriculteurs à produire des semences de ferme à condition qu’ils rémunèrent l’obtenteur chaque année.
Si elle est adoptée, la loi sur la contrefaçon va-t-elle mettre les agriculteurs face aux douaniers ?
Le texte n’introduit pas de nouvelle interdiction. Mais la proposition de loi discutée la semaine dernière au Sénat stipule que « l’administration des douanes peut, sur demandes écrites du détenteur d’un certificat d’obtention, retenir les marchandises ». Pour Guy Kastler, cela signifie que « la simple présomption de contrefaçon permettra aux semenciers de demander la destruction des stocks ». Hélène Lipietz, députée Europe Ecologie - Les Verts de Seine-et-Marne, tempère : « S’ils accusent à tort ils devront en porter la responsabilité. » Du côté des semenciers, on refrène tout enthousiasme : « Ce texte ne va rien changer », assure François Burgaud.
(1) A ne pas confondre avec les semences de ferme issues de la multiplication des semences modernes, fournies par des semenciers.