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Le stylo
lundi, 31 août 2009 / Louise Allavoine , / Simon Astié

On les use jusqu’à plus soif, on les mordille, puis on les jette… Les stylos se consomment comme des petits pains. Fière de son plastique recyclé, notre plume moderne serait-elle à la pointe de l’écologie ?

Sortez vos crayons – verts – et prenez note du problème suivant : « sachant qu’un stylo ne se recycle pas et que plus de 90 % de son impact environnemental provient de ses matières premières, essentiellement plastiques, quelles tactiques adopteriez-vous pour mettre fin à son illetrisme écologique ? »

Tactique n° 1 : maigrir et savoir « vieillir »

« Plus un produit est léger et plus il écrit longtemps, meilleur est son impact environnemental », répond du tac au tac Christine Desbois, responsable du développement durable chez Bic (1, 4 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2008). Avec 5,6 g pour 2 km d’écriture, le Cristal, produit star du groupe français – plus de 100 milliards vendus depuis 1950 –, affiche le meilleur ratio « poids-durée d’écriture » du marché. Plume au long cours, il utilise in fine moins de plastique et donc moins de pétrole au centimètre tracé que ses concurrents.

Le numéro un mondial des instruments d’écriture n’est pas obsédé par la page blanche, mais par un mot : optimisation. Il a donc développé un outil d’écoconception afin de mesurer l’impact environnemental de ses produits avant leur fabrication. « Cela permet de savoir, dès la conception, ce qui se passe si on utilise telle matière, si on produit dans telle usine… », détaille Christine Desbois. Mais l’outil magique est coûteux, alors Bic ne l’utilise pas pour tous ses produits. Le groupe refuse en effet de répercuter ce montant sur l’étiquette : cela irait à l’encontre de sa success story basée sur des prix abordables.

Tactique n° 2 : ingurgiter uniquement que du recyclé

Plutôt que de puiser dans des nappes de pétrole brut pour faire du plastique, autant réutiliser celui qui est déjà fabriqué. « Nous avons été les premiers à employer des matières recyclées. Aujourd’hui, tous les fabricants s’engouffrent dans cette voie. Je suppose donc que nous avions choisi la bonne », vante Mathias Ringeard, responsable de la marque Pilot en France. Dès 1992, le groupe japonais utilise des produits recyclés pour son marché national. En 2006, il lance à l’international la gamme Begreen, des stylos composés d’un minimum de 70 % de matières recyclées. Celle-ci compte aujourd’hui 26 produits. Cependant, début 2009, leurs ventes ne représentaient encore que 15 % des 696 millions d’euros de chiffre d’affaires du groupe, numéro deux du marché.

Pour que ses performances environnementales sautent encore plus aux yeux des consommateurs, le japonais propose, depuis janvier 2009, un stylo à la silhouette striée et à la couleur azur d’une bouteille d’eau. Normal, il est fabriqué à 89 % à base de plastique recyclé dont les deux tiers sont du PET, le plastique issu du tri effectué par les consommateurs. Avec une bouteille, Pilot fabrique 4 stylos de la gamme B2P – prononcez « bitoupi » –, acronyme signifiant « from bottle to pen », soit « depuis la bouteille jusqu’au crayon ». Cette année, 4,5 millions de B2P devraient sortir de l’usine savoyarde de Pilot qui les fabrique. Une goutte d’encre comparée aux 20 millions de Frixion, le modèle le plus vendu par la marque. « Le Frixion existe déjà depuis trois ans alors que le B2P n’a pas encore un an », se défend Mathias Ringeard.

Mais pourquoi les matières premières recyclées ne se généraliseraient-elles pas à tous les crayons de la marque, à commencer par les plus vendus ? Le groupe évoque lui-même cette possibilité sur son site Internet : « Si tous les stylos produits dans les principaux pays d’Europe en une année étaient en plastique recyclé, cela permettrait d’économiser au moins 78000 tonnes de plastique, soit l’équivalent d’un mois de carburant pour l’ensemble du parc automobile parisien. » Alors, qu’est ce qu’on attend ? « A terme, on aimerait bien généraliser cette méthode à tous les stylos Pilot, mais la matière première suffisante n’est pas disponible. Seulement 50 % des bouteilles sont recyclées en France. Et encore, c’est une bonne moyenne par rapport à d’autres pays », justifie Mathias Ringeard. Chez le français Bic, qui s’est mis lui aussi au plastique de seconde main, on avance le même argument. Les stylos Ecolutions contiennent entre 50 % et 75 % de matériaux recyclés. Mais la gamme ne compte pour le moment que six produits.

Tactique n° 3 : recharger ses batteries

Pilot ne peut concurrencer les 2 km d’écriture du Bic Cristal ? Qu’à cela ne tienne. Chez le japonais, la plupart des stylos se rechargent, ce qui permettrait d’augmenter leur durée de vie. Et de tacler la marque emblématique du jetable ? « En effet, le Bic Cristal n’est pas rechargeable. Néanmoins, nous avons quelques nouveaux produits qui le sont », rétorque Christine Desbois, la responsable développement durable, qui poursuit : « Cette étiquette “ jetable ” nous a été collée dans les années 1970, plus de vingt ans après que Marcel Bich a inventé le Bic. Mais elle n’est pas justifiée, car nos stylos ne sont pas des produits à usage unique. Ce ne sont pas des lingettes ! »

Bic ne mise pas sur la stratégie de la recharge, qu’elle ne croit pas la meilleure. Tout d’abord, parce que le consommateur ne ravitaille pas les fameux produits rechargeables. Selon les chiffres de Bic, à peine une recharge serait vendue pour dix produits concernés. Question de sous : le client ne recharge que lorsque le produit est cher. En outre, « des mesures effectuées [par Bic] montrent que la distinction rechargeable/jetable ne permet pas de déterminer a priori la performance environnementale du produit », peut-on lire dans le rapport annuel du groupe. Autrement dit : le jetable peut être durable. « Comparez un Bic Cristal qui pèse 5,6 g et écrit 2 km à un produit de 15 g pour 1,5 km par exemple. Combien de fois faudra-t-il recharger le second pour obtenir la même performance ? », lance Christine Desbois comme un défi de calcul mental. Ramassage des copies le mois prochain. —


Pourquoi faire une croix sur le recyclage ?

La réponse de Bic : « Recycler se justifie pour des produits en fin de vie avec de gros potentiels en poids et en volume comme les bouteilles, les autos… Les produits, tels que les stylos, les briquets ou les rasoirs, ne répondent pas à ces caractéristiques : ils sont trop petits et légers. »

La réponse de Pilot : « Il faudrait, en plus, que tous les stylos soient fabriqués dans la même matière. Or, techniquement, c’est impossible. Le plus simple consiste donc à fabriquer des stylos rechargeables. »

Illustration : Simon Astié - Six monstres

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