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A Montreuil, la ludothèque gagne la partie de la mixité
jeudi, 21 novembre 2013
/ Amélie Mougey
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Ici, ils ne sont ni riches ni pauvres. Ni jeunes ni vieux. Au centre de prêt de jeux de cette ville de Seine-Saint-Denis, 250 familles qui n’auraient pas eu l’occasion de se rencontrer s’amusent ensemble. Reportage.
La caverne d’Ali Baba se mérite. La quête commence à la descente du bus, la ligne 122, qui file de Montreuil vers Bagnolet (Seine-Saint-Denis). D’abord il faut serpenter entre les tours de la cité de La Noue, s’égarer un peu. « La ludothèque, vous connaissez ? » Une jeune fille aux cheveux soigneusement défrisés se retourne, enlève un écouteur. « Bien sûr, j’y allais quand j’étais petite, c’est là, derrière les jeunes qui fument le narguilé. » La chasse au trésor reprend. Sur les marches, un petit groupe de grands ados exhale des volutes de fumée. Derrière eux, un bout de ficelle dépasse d’une grille bleue. On tire, ça sonne. Alexis, la petite trentaine, apparaît. Derrière le ludothécaire, on passe la grille, une première porte, puis une deuxième. « A ce moment précis, les yeux des enfants s’écarquillent », sourit Alice, salariée de l’association A l’adresse du jeu. Sur 198 m2, un monde de châteaux forts, de déguisements et de plateaux de jeux s’offre à eux. Les petits Montreuillois ne le savent pas, mais ils ont pour terrain de jeu « la ludothèque modèle », si l’on en croit Sophie Castelnau, chargée de mission à l’Association des ludothèques françaises. La première d’entre elles a été inaugurée dans le quartier de Barbès à Paris, il y a trente ans, par le comité d’entreprise de la SNCF. Depuis, 1 200 établissements dédiés au prêt et à la pratique du jeu sont nés en France.
Catherine Watine, la fondatrice, préfère parler de « lieu de rencontre interculturel et intergénérationnel ». Mais le jeu dans tout ça ? « C’est un médiateur extraordinaire, s’enthousiasme la directrice, les gens n’ont plus besoin de parler la même langue pour se comprendre. » Autre atout : « Autour du jeu, plus personne n’est jeune ou vieux, riche ou pauvre, chacun devient joueur. » Et les barrières s’effondrent comme des châteaux de cartes. Une fois par mois, la ludothèque organise des soirées, qui se poursuivent parfois jusqu’au petit matin. « La part des habitants de la cité, habituellement de 71 %, tombe alors à 25 % », reconnaît Nathalie Durand. Les boîtes de Kapla au placard, des joueurs acharnés, attirés par les 2 000 jeux, déboulent dans la barre d’immeubles. Autour des plateaux, le résultat est détonnant. « Une jeune femme très chic venue de Versailles a passé sa soirée à batailler sévère avec un dealer notoire du quartier, jubile Nathalie. Le jeu réunit des mondes qui n’ont aucune raison de se croiser. » Quand une maman au français hésitant confie qu’elle apprend plus vite ici qu’en cours d’alphabétisation, la ludothécaire sourit sans s’étonner. « Je l’ai toujours dit : le jeu c’est du sérieux. »
« Ici on apprend aussi à perdre », souligne la directrice. Ancienne psychologue, devenue ludologue – spécialiste du jeu et des environnements ludiques –, Catherine Watine intervient dans les collèges à l’heure du déjeuner. « Une prof de maths a constaté que les élèves qui suivent l’atelier rechignent moins à refaire un exercice raté », rapporte-t-elle. Le jeu, un formidable instrument pédagogique ? Pas si vite. Quand il sert d’outil, Catherine Watine préfère parler de méthode ludique. « Par essence on joue sans contrainte, le jeu c’est la liberté. » —