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En Amazonie, le filon cosmétique de la biodiversité
jeudi, 21 novembre 2013
/ Corinne Moutout / Tout au long de l’année 2013, vous retrouverez dans les pages de « Terra eco » les rencontres de Corinne Moutout, qui s’est lancée, en famille, dans un tour du monde journalistique. Elle entend témoigner de quelques-unes des milliers d’initiatives qui émergent et qui contribuent, chaque jour, à construire un monde durable. Ce périple l’emmènera dans pas moins de onze pays. Première étape : le Sénégal. Retrouvez aussi ces reportages dans l’émission « C’est pas du vent », sur l’antenne de RFI : www.rfi.fr/emission/cest-pas-vent |
A São Francisco, au cœur de la forêt équatoriale, le grand groupe de cosmétiques brésilien Natura s’appuie sur les pratiques ancestrales d’une communauté indigène pour monter un business écolo et rentable. Histoire d’un partenariat où tout le monde est gagnant.
Au premier abord, le village de São Francisco, isolé au cœur de la forêt amazonienne, à l’extrémité sud de l’Etat d’Amapá, semble abriter une communauté amérindienne des plus traditionnelles. Le tranquille hameau ne compte qu’une dizaine de bicoques en bois, éreintées par l’âge et l’humidité, alignées le long du fleuve Iratapuru, un affluent de l’Amazone. Dans ses eaux boueuses, des enfants s’éclaboussent pendant que leurs mères s’affairent à la lessive. Sous les auvents des maisons, les hamacs grincent sous le poids d’hommes endormis. Cette vie simple, au ralenti, cache pourtant l’une des communautés les plus industrieuses d’Amazonie. Les 48 familles comptent en effet parmi les principaux fournisseurs du numéro un des cosmétiques au Brésil, Natura. Outre la rétribution de leur approvisionnement en castanhas – la fameuse noix du Brésil – et en résine de breu branco, elles tirent les bénéfices d’un statut original : l’entreprise a reconnu, voici près de dix ans, que ces familles étaient détentrices de la forêt. Elle monnaie depuis l’accès à son patrimoine génétique ainsi que leur savoir ancestral sur la collecte et l’utilisation des fruits sauvages.
Ambitieux, le village bénéficie peu après d’un premier heureux coup du sort. Après avoir trop longtemps abandonné l’Amazonie à toutes les convoitises, les autorités brésiliennes, dans la foulée du Sommet de la Terre de 1992 à Rio, saisissent l’urgence à la sauver de la déforestation, et les populations indigènes qui l’habitent de l’extinction. Il s’ensuit la mise en place de « Réserves de développement durable » (RDS), des territoires de forêt sanctuarisés, où les activités traditionnelles des communautés amérindiennes sont pérennisées. Il en existe 27 aujourd’hui couvrant 11 millions d’hectares, placées sous la responsabilité des populations autochtones. Celle du Rio Iratapuru, l’une des plus vastes d’Amazonie avec ses 803 000 hectares de forêt, est confiée aux bons soins des 209 habitants de São Francisco. Lorsqu’elle décide de lancer sa nouvelle gamme de soins, Natura se retourne donc vers le village.
« CBD », un sigle magique pour un traité international qui découle, lui aussi, du Sommet de la Terre à Rio. A l’époque, les pays réunis conviennent que la préservation de la biodiversité passe par le maintien de sa diversité biologique. Quelques années plus tard, les Nations unies soumettent une Convention, fondée sur deux idées phares : au-delà des espèces et des écosystèmes, c’est, d’une part, la conservation de leurs patrimoines génétiques qui peut le plus sûrement assurer le respect de la diversité biologique ; d’autre part, grâce à leurs pratiques et leurs savoirs ancestraux, les peuples autochtones sont reconnus comme garants de cette conservation. Signé par près de 180 pays, le texte instaure un partage équitable des avantages de l’utilisation commerciale des ressources naturelles avec les communautés traditionnellement exploitantes. Cette redistribution doit se faire sous forme d’investissements dans des projets de développement économique et social, et par un soutien à des actions de préservation.
A São Francisco, son impact se voit à l’œil nu. « Regardez notre belle église, notre école et notre dispensaire, s’enorgueillit Aldemir. Nous vivons à cinq heures de la première ville. Il est essentiel de pouvoir ne compter que sur nous-mêmes. Et voici notre usine ! En 2003, elle avait accidentellement brûlé et sa reconstruction fut le premier investissement réalisé par Natura au titre de la CBD. » A l’intérieur du bâtiment, des machines sophistiquées avalent des pelletées de noix du Brésil. En bout de chaîne, Sebastião Marques, le directeur de l’usine, surveille la récolte du précieux élixir : l’huile de castanha.
« Notre unité de transformation permet de donner du travail à tous les villageois qui ne sont pas impliqués dans la collecte. La résine de breu branco est, elle, livrée brute. Ces arbres rares qui suintent quelques mois de l’année produisent une abondante résine qui, cristallisée en gros blocs, est arrachée et vendue telle quelle à Natura. Mais rien ne nous empêche d’envisager sa transformation sur place. » En attendant, la Comaru a tout de même empoché un total de 722 000 reals (253 000 euros) pour la fourniture de 21 700 kg d’huile de castanha et 250 kg de résine de breu branco, pour les années 2010 à 2012. Mais la reconnaissance de leurs savoirs a rapporté plus encore aux habitants de São Francisco (plus d’un million de reals, soit 350 000 euros).
L’Oréal en quête de ses origines
Dans l’Hexagone, L’Oréal a créé son propre référentiel, le RMSA (Evaluation de la durabilité des matières premières), qui mesure les pratiques de ses fournisseurs en matières premières végétales. 80 % de ces dernières, qui ont été identifiées comme sensibles, ont fait l’objet de plan d’actions. Par exemple depuis 2011, via le programme « sustainable sourcing of Argan » (« origine durable de l’huile d’argan »), le géant des cosmétiques soutient au Maroc six coopératives féminines. La rémunération, l’accès au soin et à l’éducation de près de 300 femmes ont ainsi été améliorés. —
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