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La Bretagne, péninsule énergétique, peut-elle sortir de son isolement ?
dimanche, 10 novembre 2013 / Alexandra Bogaert

La Bretagne consomme beaucoup d’électricité et en produit peu. Pour remédier à cette fragilité structurelle et éviter le black-out, les autorités et les citoyens ont des solutions... opposées.

Le ciel pourrait-il tomber sur la tête des Bretons cet hiver ? Si les températures sont très basses, la demande en électricité sera, elle, très haute, et le risque de black-out bien présent. C’est en substance ce qu’a rappelé RTE (Réseau transport électricité) lors d’un point presse sur le passage de l’hiver ce jeudi. En effet, pour RTE, l’« alimentation électrique reste fragile » dans cette « péninsule électrique ». Un gros pépin sur le réseau, et c’est la plongée dans le noir.

Car l’appétit breton pour les watts a crû de 1,6% de 2006 à 2012, soit 2,7 fois plus que la moyenne nationale. A cela plusieurs raisons, notamment :

- Le dynamisme démographique, avec 25 000 habitants en plus sur le territoire chaque année
- Le taux d’équipement en chauffage électrique des foyers, supérieur à la moyenne nationale

Problème : la région ne produit que 11% de l’électricité qu’elle consomme. L’alimentation en électricité vient donc essentiellement des centrales nucléaires du Val de Loire et de Flamanville et de la centrale thermique de Cordemais. Et l’électricité est acheminée dans le nord de la région par une seule « autoroute » de 400 000 volts : si un dysfonctionnement se produit sur ce câble, il y a des risques de coupure de jus, et ce tout au long de l’année.

Autre crainte : si l’hiver est rude, les Bretons vont monter le niveau du chauffage. En période de pointe (le début de matinée et entre 18h et 20h), il risque donc d’y avoir surchauffe sur le réseau, pouvant entraîner une baisse de tension dans les tuyaux reliant les centrales aux foyers. C’est ce qu’on appelle un « risque d’écroulement de tension ». Ou black-out.

Des alertes au pic sur son téléphone

Pour éviter de se retrouver dans le noir, la région tente d’inciter les ménages à moins forcer sur le thermostat. Depuis 2008, la région s’est dotée – comme en PACA, l’autre péninsule électrique – du dispositif EcoWatt, qui propose aux habitants de s’enregistrer gratuitement en ligne, afin de recevoir des alertes mails ou SMS quand le réseau menace d’atteindre un pic. La sixième édition d’Ecowatt Bretagne débutera fin novembre et « 48 700 foyers sont inscrits », précise Sandrine Morassi, de RTE Bretagne, qui gère le dispositif.

« Ecowatt, c’est une contribution individuelle, à travers des gestes simples comme baisser le chauffage ou différer le cycle de la machine à laver, quand chaque mégawatt compte », explique-t-elle. Lors des journées très froides de février 2012, sept alertes ont été lancées pour inviter les Bretons à limiter ponctuellement leur consommation d’électricité. L’hiver doux de l’an dernier n’a pas nécessité l’envoi de messages.

Pour pallier le déficit structurel de la région en électricité, un Pacte électrique breton a par ailleurs été signé en décembre 2010 par l’Etat, RTE, la région, mais aussi l’Ademe (Agence de la maîtrise de l’énergie) et l’ANAH (Agence pour l’amélioration de l’habitat). Dans ses tuyaux quatre objectifs. Les deux premiers, fixés pour 2020, consiste à réduire par trois la consommation électrique de la Bretagne - en rénovant notamment les logements - et à multiplier par quatre la puissance électrique installée pour les renouvelables. Le troisième est la création d’une nouvelle « autoroute de l’électricité », d’ici à 2017. Mais c’est le dernier, prévu lui aussi pour 2017, qui est le plus controversé. Il s’agit de la création d’une centrale à cycle combiné au gaz naturel de 450 MW. Dans cette centrale, deux types de turbines : l’une à combustion, l’autre à vapeur. La première produit de l’électricité à partir du gaz, la seconde utilise la chaleur résiduelle pour tourner et produire, une seconde fois, de l’électricité. Cette centrale - prévue à Landivisiau, dans les environs de Brest - a été annoncée en 2012 par Eric Besson, alors ministre de l’Industrie.

En janvier 2013, la ministre de l’Environnement de l’époque, Delphine Batho, a donné une autorisation d’exploitation du site à la Compagnie Électrique de Bretagne (CEB), consortium monté par Direct Energie et Siemens. Le coût de construction initial, 400 millions d’euros à la charge du consortium, sera en réalité doublé puisque l’Etat s’est engagé à verser à la CEB 40 millions de primes pendant 20 ans (lire à ce sujet la réponse à la question 21 sur le site de la préfecture de Bretagne). Coût auquel il faudra encore ajouter entre 80 et 110 millions d’euros pour acheminer le gaz jusqu’à la centrale bretonne.

Une centrale plus coûteuse que des ampoules

Le projet dérange. Pour s’opposer à sa création, le collectif Gaspare (pour ’’Garantir l’avenir solidaire par l’autonomie régionale énergétique’’), rassemble des riverains, des associations environnementales et des partis politiques, autour de cette opposition à la centrale. Il a missionné le bureau d’études et de conseils en écologie Horizons pour trouver des solutions alternatives à ce site, « qui va engloutir 36% de la consommation de gaz en Bretagne pour chauffer des radiateurs électriques gourmands en énergie », explique Roger Beaufort, directeur d’Horizons. Le collectif estime qu’il serait au final plus simple et moins coûteux d’aider les foyers bretons à changer leurs modes de chauffage.

De même, « si chaque foyer breton (1,5 million environ) remplaçait 3 ampoules à incandescence (100 watts fois 1.5 million = 450 000 kW) par des ampoules basse consommation (10 W fois 1,5 million = 45 000 kW) on économiserait : 450 MW- 45 MW = 405 MW soit une centrale », peut-on lire sur le site nonalacentrale.fr du collectif. Les maires d’Ouessant, de Sein et de Molène ont, pour économiser l’énergie, déjà distribué des ampoules à basse consommation à leurs administrés.

Des sources d’énergie négligées

Sans oublier que la multiplication des sources d’énergies renouvelables, avec les parcs hydroliens, et les futures interconnexions sous-marines (des énormes autoroutes de l’électricité) entre l’Irlande et la Bretagne devraient d’ici à 2025 mettre la région à l’abri des grosses coupures de jus. « Tout cela amènera une puissance nouvelle qui n’est pas prise en compte dans le scénario qui a servi à rédiger le Pacte électrique », note Roger Beaufort.

RTE se défend en expliquant que ces nouvelles sources d’énergie « ne cadrent pas par rapport à l’échéancier de 2020 que le Pacte a fixé ». Le collectif, ne s’avouant pas vaincu, a déposé en mars 2013 un recours en excès de pouvoir auprès du tribunal administratif de Rennes contre l’arrêté de Delphine Batho, pour dénoncer la prime que l’Etat s’est engagé à verser au consortium. Gaspare n’a pas fini de montrer de quel bois il se chauffe.