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L’écotaxe, testée et approuvée en Suisse
mardi, 29 octobre 2013 / Amélie Mougey

Alors que la France recule une fois encore sur l’écotaxe, en Suisse, cette mesure, adoptée pacifiquement il y a douze ans, rapporte gros.

« Equitable et efficiente ». Alors que le gouvernement français a annoncé ce mardi une nouvelle suspension de l’écotaxe, les autorités suisses n’ont que ces mots à la bouche pour décrire le système similaire (pdf) adopté par la Confédération voilà maintenant douze ans.

« Comme la population est à l’origine de l’idée, la contestation était limitée »

En 2001, lassée d’être traversée de part en part par les camions de marchandises européens, la Suisse a instauré une « Redevance sur le trafic poids lourds liées aux prestations », la RPLP pour les intimes. La mesure n’a pas pris de court la population. Sept ans plus tôt, les Suisses, excédés par les allées et venues transalpines qui massacraient leurs routes et noircissaient leurs poumons, étaient déjà 67 % à approuver le principe. « La population est même à l’origine de l’idée, avec une proposition d’initiative populaire déposée dans les années 1980 », rappelle Andreas Windlinger, porte-parole de l’Office fédéral des transports suisses, « dans ce contexte, la contestation des lobbys était limitée. »

Hormis quelques grincements de dents du côté des transporteurs, le principe pollueur-payeur a été appliqué sans heurts. Ainsi, depuis douze ans, tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes s’aventurant dans les cantons - engins agricoles et militaires exceptés - doivent se munir d’un boitier enregistreur de kilomètres et sont repérés par des portiques autoroutiers avant de passer à la caisse auprès des services douaniers. Sur toutes les routes helvètes, que l’on soit Suisse ou étranger, plus on est lourd, plus on roule, plus on rejette de CO2, et plus on paie.

1,2 milliard d’euros chaque année

« On a voulu mettre en place un système non discriminatoire dans lequel tout le monde est soumis au même barème », poursuit Andreas Windlinger. Pour 100 kilomètres parcourus, un 18 tonnes, respectant la norme européenne d’émissions de gaz à effet de serre Euro 5- la plus rigoureuse jusqu’à présent - devra s’acquitter de 41 francs suisse, soit environ 33 euros. Pour la même distance un 3,5 tonnes respectant la même norme paiera quant à lui l’équivalent de 6,5 euros tandis qu’un 18 tonnes plus polluant déboursera environs 44 euros.

Au total, quelque 1,5 milliard de francs suisse (1,2 milliard d’euros) provenant de la RPLP garnissent chaque année les caisses de l’État fédéral. Un tiers de ce pactole est redistribué aux cantons pour l’aménagement et l’entretien du réseau routier. Le reste est destiné à l’amélioration du réseau ferroviaire. « La raison d’être de l’écotaxe, c’est un report de la route vers le rail », rappelle Michel Dubromel, responsable transport et mobilité durable de France nature environnement qui,en 2007, s’est appuyé sur l’exemple Suisse pour défendre l’inscription de la mesure au Grenelle de l’environnement. Pourtant, là - comme en Allemagne où l’argent de l’écotaxe sert exclusivement à l’entretien des infrastructures routières - le report modal se fait attendre, et la part du fret n’a toujours pas augmenté.

Les voies ferroviaires traversant les Alpes seront doublées

Mais pour Ueli Balmer, chef de la section transport de l’Office fédéral du développement territorial (ARE), l’ouverture des « Nouvelles lignes ferroviaires alpines », connues sous le sobriquet de NLFA, devrait changer la donne. « La réalisation des NFLA va doubler la capacité des voies ferroviaires traversant les Alpes suisses », écrit-il dans un rapport de l’ARE. Ainsi, ce ne sont plus 30 mais 60 millions de tonnes de marchandises qui pourront traverser les Alpes suisses chaque année faisant gagner au transporteur près d’une heure et demie. Le tout grâce à deux nouveaux tunnels : le Saint-Gothard dont l’ouverture est prévue en 2016 et qui, toujours selon Ueli Balmer, « pourra absorber deux tiers environ des marchandises et l’axe Lötschberg/Simplon un tiers ». Or ces deux tunnels, comme l’ensemble des NFLA auront été financés aux deux tiers par la RPLP. La boucle sera alors bouclée.

Sans attendre le train, dans la foulée de la RPLP, le trafic routier suisse a déjà changé. « Grâce à des primes accordées par l’État, le parc national de poids lourds a rajeuni et les émissions ont diminué », souligne Michel Dubromel, déplorant que cette mesure n’ait pas été prévue en France. En Suisse, l’Office fédéral du développement territorial estime que « le nouveau régime routier a entraîné une réduction de 105 000 tonnes d’émissions de CO2 ». En grande partie aussi parce que le trafic a été réduit. Les 1,4 million de poids lourds qui ont traversé les Alpes en 2001, n’étaient plus que 1,2 million en 2010. Sur les cinq premières années de mise en place de la RPLP le trafic a même chuté de 16 %.

Une baisse qui ne fait évidemment pas le bonheur des professionnels du secteur. En 2007, après l’annonce d’une nouvelle augmentation de la RPLP, l’Association suisse des transports routiers (ASTAG) a déposé un recours auprès du tribunal administratif fédéral. Accepté en premier examen il a finalement été rejeté. Car si elle induit une baisse d’activité, la RPLP n’est pas censée peser directement sur les finances des transporteurs. « C’est le donneur d’ordres qui paie le surcoût qui est au final répercuté sur le prix de la marchandise », explique Andreas Windlinger. Le dernier rapport de l’Office fédéral du développement territorial (ARE) évalue cette augmentation à 0,11 %. « Une broutille quand on sait que le prix des légumes varie de 20% à 30% », analyse Michel Dubromel à France nature environnement.