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Vieillissement des centrales : la France ne peut plus faire machine arrière
mercredi, 16 octobre 2013 / Amélie Mougey

Que se passerait-il si le prolongement de la durée de vie du parc nucléaire n’était pas acté ? Certains murmurent que nous risquerions la pénurie d’électricité. Le gouvernement se retrouve piégé. Explications.

Le ministre de l’Ecologie ne veut pas d’emballement. « Ce ne sont pas les commissaires aux comptes d’EDF qui décideront de la politique énergétique de la France », a-t-il rassuré ce mardi après l’annonce par le Journal du Dimanche d’un probable allongement de la durée de vie du parc nucléaire français jusqu’à 50 ans. La décision n’est pas prise officiellement, donc. Mais elle semble inéluctable.

Trouver l’énergie de 11 EPR d’ici à 2022

« Le scénario industriel implicitement retenu aujourd’hui est celui d’un prolongement au-delà de 40 ans », écrivait déjà la Cour des comptes dans un rapport publié en janvier 2012. En principe, l’arrêt des centrales est un tournant qui se prépare à l’avance. Depuis 2003 – année où l’âge limite a été repoussé de 30 à 40 ans – on savait que les premières constructions, celles de Fessenheim (Haut-Rhin) et du Bugey (Ain), devaient pousser leur dernier souffle au plus tard en 2018. Dans la décennie suivante, 13 des 19 centrales françaises (voir leur âge sur notre carte) étaient supposées les imiter. Dès lors, la France devait se préparer à une chute brutale de sa production d’électricité, fournie à 75% par son parc nucléaire. Dans son rapport, la Cour des comptes estimait que le pays devrait alors être capable d’économiser ou produire l’équivalent de l’énergie fournie par 11 EPR d’ici à 2022.

Sauf que dans les faits, quasiment rien n’a été fait. Le débat sur la transition énergétique n’a débuté que l’an dernier, l’EPR de Flamanville (dans la Manche) accumule les contretemps et au regard du marché du solaire et de l’éolien, l’objectif d’atteindre 23% d’énergies renouvelables en 2020 devient un rêve lointain. « Même si on lançait aujourd’hui de gros chantiers, le retard ne sera jamais rattrapé à temps, avant 2018  » constate l’un des participants au rapport de la Cour des comptes. Résultat, « si on ne prolonge pas la durée de vie des centrales, nous risquons tout simplement de ne plus avoir assez d’électricité », poursuit-il. Trop tard donc pour rebrousser chemin.

EDF évoque une durée de vie à 60 ans

Pour EDF, l’affaire semble classée. Lors de son dernier comité central d’entreprise mi-septembre, l’électricien a dévoilé son projet de « grand carénage » : 50 milliards d’euros d’investissements jusqu’en 2025 pour effectuer les révisions qui permettront à ses centrales d’atteindre non pas quarante, ni même cinquante, mais soixante ans de loyaux services. Soit le double de la durée de vie pour laquelle elles ont été mise sur pied.

Car en prolongeant une première fois de dix ans, la France a déclenché un engrenage. « On estime qu’il faut investir 55 milliards entre 2012 et 2025 pour faire fonctionner, dans de bonnes conditions de sécurité et de productivité, nos centrales jusqu’à 40 ans », rappelle-t-on à la Cour des comptes. Les dépenses liées au renforcement de la sécurité des installations suite à la catastrophe de Fukushima atteignent à elles seules 10 milliards d’euros. Quitte à investir, EDF espère rentabiliser sur quelques décennies.

La centrale de Fessenheim, dont l’arrêt a finalement été décidé pour 2016, fait figure de repoussoir. « En 2011, EDF a changé des pièces importantes comme les générateurs de vapeur », rappelle François Lévêque, professeur d’économie spécialiste de l’énergie à l’école des Mines de Paris. Cet investissement dit de « jouvence » a coûté la bagatelle de 150 millions d’euros. « Avec l’arrêt de la centrale en 2016, une bonne partie de cet argent sera perdu », poursuit l’économiste. Au contraire, en obtenant une prolongation de la durée de vie du parc, EDF mettrait toutes les chances de son côté pour que l’argent dépensé ne parte pas en fumée. Reste qu’« après 2025, on n’arrêtera pas de faire des investissements de maintenance, bien entendu. De nouveaux investissements seront nécessaires pour atteindre les 50 ans », explique-t-on à la Cour des comptes. Et ces nouveaux investissements devront à leur tour être rentabilisés. Jusqu’à ce que l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), qui juge au cas par cas de la fiabilité des centrales, impose des mises à l’arrêt.

« Le nucléaire prend toute la place »

Pour l’association Négawatt qui milite pour une sortie du nucléaire, le cercle est encore plus vicieux qu’il n’en a l’air. « Le nucléaire prend toute la place et son abondance n’incite pas à miser sur l’efficacité ou la sobriété énergétique », s’emporte Marc Jedliczka son porte-parole. Si on fait perdurer ce monopole, les alternatives resteront au point mort et on sera confrontés au même blocage dans dix ans. » Pourtant, pour Bernard Laponche, ancien membre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), la solution existe : « Nous avons en France un très fort potentiel de réduction de la consommation d’électricité. C’est moins risqué et plus simple que de prolonger toujours la durée de vie des centrales. » Ainsi, si l’on se replonge dans le scénario de Négawatt, les 55 milliards dédiés à la prolongation du parc nucléaire pourraient tout aussi bien couvrir l’ensemble des rénovations thermiques à l’échelle du pays pendant trois ans, soit plusieurs centaines de milliers de bâtiments. L’inverse d’une fuite en avant.