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La Picardie se met à l’étable XXL
vendredi, 4 octobre 2013 / Alexandra Bogaert

L’agriculture et l’industrie étaient jusqu’à présent deux domaines encore séparés. Mais trois projets de fermes taille XXL, en Picardie, viennent mélanger les genres. L’élevage français est-il en train de changer d’échelle ?

Mise à jour le 15 septembre 2014 : La première traite de la ferme des 1 000 vaches a eu lieu ce samedi 13 septembre. « 150 des 500 vaches ont rejoint l’étable dans un climat serein, après un transfert organisé durant la nuit afin de garantir la sécurité des hommes et le confort des animaux », a précisé la direction de l’établissement. « La gendarmerie était présente, une de ses patrouilles ayant notamment questionné certains de nos membres sur place », a assuré à l’AFP Michel Kfoury, le président de « Nos villages se soucient de leur environnement » (Novissen), une association opposée à cette exploitation. De son côté, la Confédération paysanne a promis que la mobilisation qui s’est « immédiatement organisée, allait grossir pendant les heures qui viennent ».

Quelle folie des grandeurs frappe la Picardie ? C’est dans cette région que devraient voir le jour trois fermes XXL, les plus grandes de France, dans les années qui viennent. Il y a la désormais célèbre et très controversée ferme laitière dite des 1000 vaches, près d’Abbeville dans la Somme, projet de l’entrepreneur Michel Ramery, qui a fait fortune dans le BTP. Il y aura peut-être bientôt la ferme des 1500 taurillons à Landifay-Bertaignemont dans l’Aisne (une étude publique est en cours) et un élevage de 6120 porcs, à Rocquigny, dans le même département. En France, le troupeau moyen de bovins est constitué d’environ 60 bêtes, celui de porcs d’environ 150. Avec ces giga-fermes, on a complètement changé d’échelle. Est-on en train de changer de modèle ?

« L’agrandissement est une tendance de fond depuis les années 70 », explique Jean-Louis Peyraud, directeur de recherche à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). « Mais on est passé en 40 ans de troupeaux de 30 bovins à 60. Là, on est bien au-delà », précise-t-il. Aujourd’hui, seules 2% des exploitations rassemblent plus de 100 vaches. Les exemples picards sont donc des exceptions. Que rejettent en choeur – une fois n’est pas coutume -, la Confédération paysanne et la FNSEA : le gigantisme (du moins pour la France), ce n’est pas leur dada.

Une giga-ferme qui transforme la vache en objet

Pour Laurent Leray, porte-parole de la Confédération paysanne sur l’élevage, ces « dimensions sont inquiétantes ». Son syndicat promeut les exploitations à taille humaine, et désapprouve « la captation de milliers d’hectares par un seul homme ou une seule exploitation, ce qui empêche l’installation d’autres agriculteurs sur ces terres ».

Dans sa ligne de mire surtout, la ferme des 1000 vaches (elles seront en réalité 500 vaches laitières dans un premier temps [1]) où les bovins ne verront jamais les verts pâturages : ils resteront à l’étable et seront traits trois fois par jour pour augmenter les rendements laitiers. « Voilà qui risque de nuire au regard, déjà peu reluisant, que la société porte sur l’élevage : la vache ne devient plus qu’un objet à produire du lait », regrette Jean-Louis Peyraud. Selon lui, la suppression des quotas laitiers à partir de 2015 pourrait inciter d’autres agriculteurs à se lancer dans l’élevage intensif.

Mais surtout, « ce passage d’un modèle d’agriculture familiale à une agriculture industrielle où les vaches ne sont qu’une source de revenus parmi d’autres ne pose pas qu’un problème de taille mais aussi de philosophie. Peut-on encore parler d’éleveur, ou faut-il plutôt parler de manager ? », s’interroge le chercheur.

Se regrouper pour maintenir les emplois et avoir des vacances

C’est aussi ce point qui gène Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA. « Ce modèle industriel, avec en plus une seule personne qui détient tous les capitaux, nous ne le préconisons pas », explique-t-elle. Elle voit en revanche d’un bon œil les regroupements d’exploitations, où plusieurs éleveurs décident – tout en restant chacun maître de ses bêtes - de constituer ensemble des sociétés leur permettant notamment d’organiser des tours de garde le week-end ou pendant les vacances. Une rationalisation du travail qui permet de dégager du temps pour les loisirs ou la famille.

« Les exemples sont encore peu nombreux mais on trouve comme cela des exploitations de 400 vaches, où il y a huit ou neuf associés, avance Christiane Lambert. Ces regroupements entrainent un agrandissement mais ils permettent aussi d’améliorer les conditions de travail des éleveurs, tout en maintenant leur emploi. »

C’est justement ce qui gène le ministre de l’Agriculture avec la ferme des 1000 vaches. « Moi mon problème, c’est pas 500 vaches (...), le vrai problème de ce projet, c’est qu’il y a 500 vaches sans agriculteur », a réagi Stéphane Le Foll hier au micro de RMC, en marge du sommet de l’élevage. Le ministère précise que la nouvelle PAC, censée réorienter les fonds sur l’élevage, n’encouragera toutefois pas ce type de grandes exploitations intensives.

Et le plan d’investissement annoncé par François Hollande au sommet de l’élevage cette semaine va surtout profiter aux éleveurs de vaches à viande (via une prime à l’engraissement), donc plus aux 1500 taurillons qu’aux 1000 vaches. « Ce qui est une bonne chose, puisque le marché est porteur à l’export », souligne Christiane Lambert.