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Les lobbies sortent l’artillerie lourde
jeudi, 26 septembre 2013 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

, / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Pour arriver à leurs fins, les industriels tordent les mots comme les chiffres. Et la résistance se fissure.

Pour faire passer la pilule de la fracturation hydraulique, les industriels sont prêts à toutes les acrobaties, y compris lexicales. « Aux Etats-Unis, on parle de “ massaging ” de la roche. C’est peut-être une idée ? », s’interrogeait ainsi le pédégé de Total, dans un entretien au Monde, en janvier dernier. Quelques jours plus tard, son homologue de Gaz de France suggérait, lui, les termes de « stimulation » ou de « brumisation ». Autre stratégie, moins subtile : brandir la carotte de l’emploi. Aux Etats-Unis, le gouvernement parle ainsi d’un million de postes créés. Le cabinet Sia Conseil a donc transposé ce succès dans l’Hexagone… via un simple produit en croix. Résultat, au moins 100 000 emplois en France si les hydrocarbures de schiste étaient exploités. Des chiffres démontés par les économistes, et controversés. Car Sia Conseil compte, parmi ses clients, GDF Suez – codétenteur d’un permis en Moselle – ou Total. Ajoutons que l’un des auteurs du rapport, Jean-Baptiste Hecquet, a travaillé, en 2008, pour Hess Oil, qui opère dans le Bassin parisien (Voir carte).

Reste que le chiffre a fait son trou dans l’opinion. Il ressurgit même, avec moult précautions, dans un rapport d’étape de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques publié en juin dernier. « Cette étude n’a absolument rien de scientifique, c’est un scandale que cet argument de lobbyiste soit repris dans ce rapport », s’agace l’économiste Thomas Porcher. « J’ai des convictions politiques et ce n’est pas pour cela que je suis à la remorque de Suez ou de Total ! », réplique le sénateur Jean-Claude Lenoir (UMP).

Il demeure que, au nombre des personnes auditionnées, on compte 35 industriels, mais aussi 22 experts favorables aux hydrocarbures de schiste – à en croire leurs déclarations passées – contre 16 experts neutres et… deux représentants d’ONG. « L’objet de notre mission était d’étudier les alternatives à la fracturation hydraulique, rétorque Jean-Claude Lenoir. Je ne suis pas sûr que les associations opposées étaient en mesure de répondre à cette question. »

Montebourg contre Batho

Reste qu’« aujourd’hui, tout le monde sait que le gaz de schiste crée peu d’emplois par rapport à ce qu’il détruit dans les secteurs de l’environnement et du tourisme, soutient Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche. En revanche, avec l’augmentation du baril de pétrole, exploiter les gaz de schiste pourrait permettre d’améliorer notre compétitivité. » L’argument, lui aussi balayé par certains économistes (Lire ici), est l’un des principaux points du rapport sur la compétitivité des entreprises remis par l’ex-patron d’EADS, Louis Gallois, à la fin de l’année 2012. Il est, depuis, arrivé jusqu’aux oreilles d’Arnaud Montebourg : « Nous devons parvenir (…) à capter la rente que représenterait l’exploitation des gaz de schiste pour notre économie en l’affectant, pour la main droite, à l’industrie française dont la compétitivité a besoin d’être renforcée et, pour la main gauche, au financement des énergies renouvelables », a déclaré le ministre du Redressement productif devant la commission des affaires économiques en juillet.

Le flou règne. Le gouvernement affirme son opposition au gaz de schiste, mais suggère que le dossier serait rouvert si les industriels inventaient la fracturation propre. Parfois, il choisit même le silence. « Au printemps dernier, la Commission européenne a ouvert une consultation sur les gaz de schiste. Le ministère de l’Ecologie, sous ma houlette, a proposé une réponse officielle du gouvernement. Elle a été bloquée à l’interministériel et n’est jamais parvenue à la Commission », affirme l’ex-ministre Delphine Batho à Terra eco. Information confirmée par Bruxelles. Le gouvernement, sentant le vent tourner, a-t-il voulu adoucir son discours ?

Sondage commandé

Suggérer que l’avis de la population change, c’est l’ultime arme des lobbyistes. Ainsi, la société eCorp Stimulation Technologies, experte en « stimulation » de schiste, a-t-elle commandé en février un sondage auprès de l’Ifop. Sa conclusion ? « Les Français sont un peu moins fermés au gaz de schiste » qu’ils ne l’étaient neuf mois auparavant. Ils pensent en large majorité que le gaz de schiste « augmenterait l’indépendance énergétique de la France », créerait « de nombreux emplois ». Et, avec une alternative propre à la fracturation, 80 % seraient « favorables à ce qu’elle soit testée à titre expérimental en France ». Exactement les arguments des industriels. Est-ce à dire que le lobby a déjà percé ? —

Bruxelles, nid de lobbies

« Lors du vote sur l’interdiction de la fracturation hydraulique (rejeté en novembre 2012, ndlr), la Pologne a organisé une exposition à 15 mètres de l’Hémicycle qui vantait les bénéfices des gaz de schiste », s’agace l’eurodéputée Corinne Lepage (Cap 21). « Il y a plus de 1 500 entités enregistrées au Parlement, dont une majorité de lobbyistes. Ils ne se gênent pas pour frapper aux portes. Alors, oui, il y a beaucoup de pression », renchérit Michèle Striffler, députée (UDI). —