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Quand le carbone a le pouvoir à la bonne
jeudi, 26 septembre 2013 / Simon Barthélémy

Carbon democracy, de Timothy Mitchell, La Découverte, 332 p., 24,50 euros.

Voici un livre qui tombe à pic. Quand la France débat de transition énergétique pour réduire son addiction au pétrole, Timothy Mitchell montre comment démocratie et combustibles fossiles, deux « phénomènes récents », « s’entrelacent depuis le départ ». Au XIXe siècle, l’exploitation industrielle du « soleil enfoui » dans les gisements de charbon d’Europe et d’Amérique du Nord, change le monde : elle relance la colonisation, car « l’emploi manufacturé de cette énergie nécessitait une forte augmentation de l’offre de matériaux bruts industriels » (coton, sucre), ainsi que des méthodes (esclavage…) pour « empêcher les populations qui cultivaient la terre de contrôler ce qu’elles produisaient, tout en freinant leurs efforts d’industrialisation ». Au Nord, le charbon donne aux mineurs et cheminots « un nouveau type de pouvoir politique », celui de paralyser les systèmes énergétiques. Ainsi, à partir de 1880, les grèves conduisent à l’amélioration des salaires et des conditions de travail, au droit de vote et à celui de se syndiquer, et l’accès au pouvoir de partis de masse.

Pétrole contre communisme

Après 1945, pour contrer la progression du communisme en Europe, le plan Marshall programme le remplacement progressif du charbon par le pétrole, qui nécessite moins d’intervention humaine pour son extraction et son transport, donc moins de gêneurs. Les Etats-Unis, producteurs des deux tiers du brut mondial, financent raffineries, routes et industrie automobile européennes. Et, pour doper les profits, ils « produisent la rareté » en contrôlant les réserves du Moyen-Orient par tous les moyens : coup d’Etat en Iran, guerre en Irak, soutien à l’Arabie Saoudite islamiste… Mais le pétrole ne garantit pas la démocratie : lorsque l’Egypte doit importer du brut, en 2010, le régime, sans devises pour apaiser la contestation sociale, vacille…

Le mirage fossile

S’il se défend de « déterminisme énergétique », Timothy Mitchell fait dériver bien des phénomènes du charbon et du pétrole : ultralibéralisme, crises financières, recherches sur l’eugénisme… C’est parfois capillotracté, mais bien documenté et souvent convaincant, notamment sa vision de la « mystique de la croissance » : le pétrole paraissant inépuisable et les matériaux synthétiques semblant « avoir raison des limites naturelles », on en vient à penser une économie qui croît indéfiniment ! C’est devenu l’objectif politique majeur, confié aux experts, et déconnecté des réalités physiques. Malgré l’épuisement imminent des réserves et le changement climatique, le mirage fossile perdure, via les gaz de schiste, déplore l’auteur. Il en appelle à un Giec des énergies carbonées, et à plus de démocratie pour préparer l’après-pétrole. —


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