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Au Brésil, les petites pierres font les grandes rivières
jeudi, 26 septembre 2013 / Hélène Seingier , / Aurélien Francisco Barros

De petits barrages en travers d’un ruisseau, au bout d’un champ. C’est grâce à cette idée simple d’un ingénieur du Nordeste que les paysans de la région peuvent cultiver leurs terres redevenues fertiles.

Manuel Massa sourit en fauchant ses herbes fourragères. Elles sont hautes et vert tendre. Pourtant, seuls des cactus et des broussailles hérissent le sol. La sécheresse frappe parfois si durement à Carnaiba, dans le Nordeste brésilien, que le paysan avait pris l’habitude de nourrir ses vaches avec des feuilles mortes. Et il ne compte plus les voisins partis grossir les favelas de São Paulo ou de Rio.

Soleil impitoyable

« Ce qui m’a sauvé, ce sont les barrages de Ze Artur », affirme Manuel. Le dispositif est simple – un muret de pierres en travers d’un ruisseau, au bout de sa parcelle –, mais il a tout changé. Jusqu’en 2011, le filet d’eau était souvent à sec, à cause d’un soleil impitoyable, et rien ne poussait sur les berges. « Nous avons alors construit ce barrage et, lorsqu’il a plu, les pierres ont retenu la terre et les végétaux que l’eau charriait », raconte l’éleveur. En quelques jours, l’érosion a engendré une terrasse fertile derrière les rocs agencés en arc romain, une forme architecturale millénaire. Ralentie par le barrage, « l’eau s’infiltre sous le sol. Du coup, il y a assez de terre et d’humidité pour que je cultive mon fourrage ».

« Zéro pétrole, zéro ciment ! »

José Artur Padilha, dit « Ze Artur », 71 ans, est devenu l’ange gardien des petits agriculteurs du coin. Ingénieur en mécanique, il a fait de sa ferme de 600 hectares, située dans l’Etat du Pernambouc, un labo à ciel ouvert pour aider ses voisins à mieux composer avec le climat. « On ne peut ni empêcher la sécheresse, ni interdire les intempéries qui emportent la terre des collines, philosophe-t-il. Mais on peut utiliser l’énergie de la pluie ! » C’est elle qui transporte gratuitement le matériau des terrasses vers le bas de la pente. En quelques mois, derrière les petits barrages, les flancs des cours d’eau ont reverdi. « L’écosystème entier se reconstruit, la nature travaille pour nous », affirme l’ingénieur.

Et ces barrages n’utilisent que des ressources locales et bon marché : des pierres et des agriculteurs solidaires. « Zéro pétrole, zéro ciment ! », résume Ze Artur en s’approchant d’un chantier. Dans le lit d’un ruisseau, une dizaine d’agriculteurs jouent du burin et des biceps pour ériger une muraille de pierres. « N’oubliez pas de mettre des plantes entre les blocs, rappelle-t-il. Ça permet de retenir plus de terre, tout en laissant l’eau s’écouler. » Depuis vingt ans, l’homme a installé 50 000 barrages dans la région, avec des coups de pouce de la Banque mondiale et de l’Etat brésilien. Il a même été invité à venir vanter les mérites de ses barrages à l’université locale d’agronomie. Quand ils le croisent, les notables du coin, qui le prenaient pour un doux dingue, le saluent désormais avec respect. —

Impact du projet

50 000 barrages construits