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Les dessous de Topshop, la marque qui débarque en France
mercredi, 18 septembre 2013
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Mi-octobre, Topshop s’installe à Paris, pour le bonheur des mordus de mode. Reste un souci : le passé de la marque britannique. Bas salaires, conditions de travail déplorables, arrangements fiscaux… ce n’est pas franchement nickel.
Ça y est ! Elle débarque (enfin) en France. La marque Topshop va ouvrir son premier lieu de vente à Paris « aux alentours du 20 octobre », a annoncé le groupe Arcadia, propriétaire de l’enseigne. Et ce, sur un espace dédié de 176 m2 au deuxième étage des Galeries Lafayette. Les aficionadas en salivent déjà. Certaines fans – on en connaît – avaient fait de Topshop l’une des étapes incontournables lors de leurs virées à Londres. Mais à Terra eco, on a une sale manie : celle de scruter les étiquettes de nos T-shirts et de nous interroger, comme le montre notre récent dossier. Alors qui est vraiment Topshop ?
L’histoire d’abord. Topshop est né en 1964, dans les rayons d’un grand magasin Peter Robinson à Sheffield, dans le nord de l’Angleterre. Quelques années plus tard, l’enseigne lance sa boutique sous son propre nom puis, en 1994, s’installe au pavé de la célèbre Oxford Street. Depuis, la marque a ouvert 300 magasins au Royaume-Uni et 140 à l’étranger (Australie, Canada, Chili, Danemark, Israël, Russie…). Un succès pour le groupe Arcadia (Burton, Evans, Miss Selfridge…) qui n’hésite pas à se payer les trombines de stars (les designers Jonathan Saunders et Alexander McQueen – aujourd’hui décédé –, l’ex-mannequin Kate Moss…) pour lancer des collections spéciales.
On ne l’y reprendra plus. Cinq ans plus tard pourtant, deux journalistes de l’hebdomadaire Sunday Times découvrent un nouveau pot aux roses : « Nous nous étions concentrés sur la ligne de vêtements signés Kate Moss. Et nous sommes allés visiter des usines de l’île Maurice qui les fabriquaient. Là, on a trouvé des travailleurs sri lankais, indiens, bangladais payés beaucoup moins que la moyenne du pays », se souvient Claire Newell, l’une des deux journalistes en charge de l’enquête. Ces ouvriers-là travaillent 70 heures par semaine pour 22 à 40 pens les 60 minutes (31 à 56 centimes d’euros d’aujourd’hui), soit la moitié du salaire moyen sur l’île. Le reste du temps ils dorment, entassés dans des dortoirs. La réponse du boss à l’époque ? Une menace adressé à un journaliste de « lui envoyer un coup de poing dans le nez ». Rebelote en 2010, lorsqu’un reporter de Channel 4 se fait employer dans une usine de Leicester (dans le nord du pays). Là, pas de vêtements Topshop mais des nippes estampillées Bhs, une autre marque du groupe Arcadia. Et des conditions de travail à nouveau déplorables : salaire inférieur au salaire minimum de moitié, pression des employeurs, chaleur des locaux et sécurité mal assurée. Réponse du groupe incriminé : « Un fournisseur qui sous-traitait le travail n’a pas respecté le code de conduite. » Encore ce fameux code.
Mais que diable y a-t-il dans ce code signé par tous les fournisseurs de Topshop ? L’engagement de fabriquer les produits de la marque « dans le respect de la loi locale », « sans exploitation des travailleurs » (respect des minimums légaux, semaine de 48h, pas de travail des enfants…) « sans dommage pour l’environnement ». De beaux engagements. Mais publier sur son site un code de conduite ? « C’est la norme pour tous les détaillants de vêtements d’avoir un texte qui régit le droit des travailleurs. Mais c’est beaucoup plus compliqué de vérifier qu’il est bien appliqué et efficace », souligne Murray Worthy, responsable de campagnes pour « War on Want », une ONG britannique qui lutte contre la pauvreté dans les pays en développement et le respect des droits de l’homme. « Arcadia se caractérise plutôt par un manque de volonté, d’engagements par rapport à d’autres marques », souligne-t-il encore.
Visée encore la réticence d’Arcadia à participer à des initiatives nationales ou internationales qui tentent d’améliorer les pratiques du secteur. Le groupe n’est pas signataire par exemple de la « Ethical Trading Initiative », une alliance britannique d’entreprises, de syndicats et d’ONG qui cherche à « améliorer les conditions de travail des personnes qui fabriquent ou font pousser des produits à travers le monde ». Longtemps enfin, le groupe Arcadia a hésité à s’associer à l’« accord international visant à renforcer les conditions de sécurité dans les usines textiles du Bangladesh » (Voir encadré au bas de cet article) initié au lendemain de la catastrophe du Rana Plaza. Si la date butoir de signature était fixé au 15 mai, Arcadia s’est finalement engagé le 12 septembre dans l’aventure. « Nous sommes attristés par les événements au Bangladesh et nous voulons jouer un rôle en contribuant à cette démarche qui vise à initier des changements positifs pour les travailleurs de la mode », souligne le groupe sur son site Internet. Cette signature changera-t-elle les choses ? Impossible de le savoir tant l’accord en est encore à ses balbutiements.
L’accord du Bangladesh encore dans les limbes
Presque cinq mois que le Rana Plaza s’est effondré sur ses ouvriers, tuant au passage 1 127 d’entre eux. Et quatre mois que l’accord international dit « accord de Bangladesh » a été signé. Il rassemble aujourd’hui 87 sociétés dont certaines – le groupe Arcadia notamment – ont rejoint l’initiative en route. L’objectif de l’accord ? « Rendre le secteur de la mode plus sûr et responsable grâce à des inspections, des travaux engagés dans les usines, des formations de travailleurs », souligne le site d’IndustriALL, l’un des syndicats internationaux à l’initiative de l’accord. Mais les choses tardent : « Nous faisons beaucoup de réunions, nous tentons d’organiser les choses », se défend Tom Grinter, responsable communication à IndustriALL. Car avant de pouvoir agir, reste encore l’essentiel : nommer un directeur exécutif et un inspecteur en chef. « Nous espérons que ce sera fait avant la fin du mois de septembre », confie-t-il.