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Une vie de T-shirt
jeudi, 29 août 2013
/ Cécile Cazenave
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Des agriculteurs africains, des ouvriers asiatiques, des interlocuteurs à gogo, des substances chimiques dangereuses, du marketing à foison et des milliers de kilomètres au compteur : il y a tout ça dans nos placards. Visite guidée.
Mise à jour le 24 avril 2014 : Un an après l’effondrement d’une usine de textile au Bangladesh, le 24 avril 2013, le fonds d’indemnisation des victimes n’a toujours pas réussi à lever les 40 millions de dollars (29 millions d’euros) prévus, selon les organisations IndustriALL et Clean Clothes Campaign, explique Lemonde.fr. Ce drame avait tué 1 135 salariés et blessé plus de 2 000 personnes. |
Avant de finir en boule au pied du lit, le T-shirt en coton a poussé dans un champ. Votre préféré, celui avec un marsupilami, mais aussi tous les caracos, foulards, caleçons et pyjamas du monde ont réclamé quelque 36 millions d’hectares de terres agricoles. « Pour un T-shirt de 200 grammes, nécessitant près de 250 grammes de fibres en raison des chutes de transformation, une surface cultivée pendant un an de 5 mètres carrés est nécessaire », explique Gérard Bertolini, dans une étude passionnante publiée dans Le Courrier de l’environnement de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). Comptez le nombre de T-shirts dans votre armoire : parions que certain(e)s d’entre vous ont réquisitionné l’équivalent du Champ-de-Mars !
Cette solution permettrait pourtant d’éviter les relents de pesticides. Car le coton en absorbe un quart de la consommation mondiale. D’après l’Organisation mondiale de la santé, 1,5 million de travailleurs de cette culture seraient gravement intoxiqués chaque année, et près de 30 000 en mourraient. Pour éviter les produits chimiques, il y a le coton Bt, génétiquement modifié. Il occuperait, d’après l’Isaaa (Organisation internationale de promotion des biotechnologies végétales), plus de 80 % des surfaces mondiales aujourd’hui ! Mais en Inde, les défenseurs des paysans constatent l’échec de ces semences. Ils accusent même le coton transgénique d’être à l’origine d’une gigantesque vague de suicides en milieu rural : un cas toutes les trente minutes. Ces disparitions silencieuses n’ont pas l’écho médiatique d’un immeuble s’effondrant sur des couturières asiatiques. Entre la peste et le choléra, le chemin est étroit.
Une fois récolté, le coton commence alors son voyage vers votre penderie. Un tiers des 26 millions de tonnes de fibres de coton produites par an dans le monde sont exportées, essentiellement depuis les Etats-Unis, les anciens pays d’URSS et les pays africains, vers la Chine et l’Asie de l’Est, où se trouvent les ateliers textiles. Non content de franchir les frontières, le coton entre alors dans les affaires de gros sous. Les cours mondiaux, soumis à la spéculation, varient comme des girouettes. Et le prix de la tonne a été divisé par quatre en trente ans. Depuis quinze ans, les gouvernements américain, chinois et européens – par l’intermédiaire de la politique agricole commune – ont donc versé plus de 47 milliards de dollars (35 milliards d’euros) de subventions pour soutenir leurs producteurs. Les pays pauvres restent, eux, soumis aux prix cassés du marché. Pour contrecarrer l’effet pervers de cette étape, le consommateur pourra choisir une certification équitable sur son T-shirt. Elle garantit un prix minimum au producteur. Selon l’association Max Havelaar, cette aide représenterait 70 % de revenus supplémentaires au Mali et 40 % au Sénégal.
Les produits chimiques
Puis le coton devient tissu. Cardage, étirage, filage, bobinage, retordage, enroulage, tricotage, teinture… et le tour est joué. Cette étape requiert peu d’humains. Mais beaucoup de produits chimiques : l’industrie des vêtements en utilise plus de 7 000 sortes. L’année dernière, Greenpeace a passé à la loupe quelques nippes de 20 marques différentes (Esprit, Diesel, Gap…) représentant 20 % du chiffre d’affaires mondial de l’habillement. Sur plus de 140 vêtements testés – fabriqués dans 27 pays –, 63 % contenaient des éthoxylates de nonylphénol. Cette substance soluble dans l’eau se dégrade en libérant un composé toxique qui perturbe le système endocrinien. « Ce n’est bien sûr que la partie émergée de l’iceberg. Là, on retrouve les résidus. Les ouvriers, eux, sont au contact de concentrations infiniment plus élevées », explique Jérôme Frignet, de l’ONG. Est-ce qu’un jour sera compris, dans le prix du T-shirt, son coût pour la santé publique des pays producteurs ?
Le découpage du prix est comparable chez G. Kero, qui fait fabriquer 14 000 T-shirts par an au Portugal, avec du coton en provenance d’Egypte ou d’Italie. Le prix de revient est de 14 euros. Il est multiplié par 2,5 pour que les créateurs, Marguerite et Philippe Bartherotte, se payent « au Smic », et encore par 2,5 par le distributeur. Les deux marques témoignent de la même philosophie : qualité des matières premières, transparence de la chaîne de production et prix de vente permettant la viabilité de l’entreprise et l’éthique de sa fabrication. « Ça n’a l’air de rien, un T-shirt, mais c’est beaucoup de boulot », souligne Philippe Bartherotte.
Les grandes marques seraient-elles prêtes pour ce battement d’ailes de papillon ? « Encore faut-il que ces centimes d’augmentation aillent dans la poche de l’ouvrier, dans des pays où la transparence n’est pas toujours de mise », souligne Nathalie Ruelle, professeure spécialisée en gestion de la sous-traitance à l’Institut français de la mode. Pour justifier leur immobilisme en matière de prix ou de contrôle des conditions de travail, les enseignes de mode s’abritent volontiers derrière la complexité d’une filière qui comprend au moins huit étapes de la fibre au vêtement fini. « C’est une réalité, mais ils ont voulu ce système, note Elin Wrzoncki, responsable du bureau mondialisation à la Fédération internationale des droits de l’homme. En ne possédant pas leurs propres usines, les enseignes ont externalisé les risques au maximum. »
Et, pendant qu’il ne se passe rien, les marges se portent bien. L’étude de Gérard Bertolini montre que celles, cumulées, des grossistes et des détaillants, représentent 72 % du prix de vente au public. « Quand les marques ont leur propre réseau de boutiques, le prix de revient industriel d’un vêtement est multiplié par un coefficient compris entre quatre et dix, dans lequel on trouvera les frais de création, de communication et les dépenses immobilières », explique Nathalie Ruelle. Sur la période 2000-2006, alors que les prix de vente de l’habillement baissaient de moins de 10 %, l’institut statistique européen Euratex a pointé que les prix à la production, eux, diminuaient de 67 %, délocalisation oblige. Grâce à ces économies, on peut faire beaucoup pour continuer à attirer les acheteurs. Terra eco n’a pas été mis dans la confidence, mais il y a fort à parier que le montant du cachet de Vanessa Paradis comme égérie de la collection « Conscious » de H&M, occasionne quelques frais…
« Que les multinationales répondent de leurs filiales »
Danielle Auroi, députée Europe Ecologie - Les Verts, a créé le groupe parlementaire sur la responsabilité sociétale des multinationales.