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La vigne se fait une place au soleil des tropiques
jeudi, 29 août 2013 / Isabelle Hartmann

Lassés du bordeaux ? Servez-vous un ballon de vin birman ! Depuis 1999, un Allemand produit du blanc et du rouge dans le pays. Mais entre champignons et grosses chaleurs, gare à la piquette.

« Ici, on ne boit pas le vin à température ambiante. Parce qu’à 40 °C, c’est bof, bof… » Hans-Eduard Leiendecker s’amuse. Le vigneron allemand aux fines lunettes dirige, depuis 2007, le vignoble Aythaya, situé à Taunggyi, dans le nord-est de la Birmanie, à 1 300 mètres d’altitude. Un verre de sauvignon blanc posé devant lui, celui qui travaille dans ce domaine depuis vingt ans caresse du regard les vignes tirées au cordeau qui ont pris d’assaut les flancs des montagnes alentour. Là où il n’a pas planté de raisin, palmiers et bananiers sauvages poussent comme du chiendent. Climat trop chaud, trop humide, trop ensoleillé : produire du vin sous les tropiques était jugé impossible il y a trente ans. Aujourd’hui pourtant, les bouteilles du Brésil, d’Inde ou du Vietnam conquièrent les marchés, résultat de tests menés tous azimuts.

Sous les tropiques, le soleil ne brille pas assez longtemps pour produire des fruits. Beaucoup de variétés ont deux, voire trois cycles de croissance par an – contre un seul dans les zones tempérées –, mais ne font pousser que des feuilles et du bois. Plus de 300 sortes de raisin ont donc été plantées dans le monde par des œnologues curieux de voir quels types s’adapteraient au climat tropical. Avec force produits chimiques, systèmes d’arrosage, voire… toits pour protéger les vignes des coups de soleil.

« Syrah et tempranillo »

Sur les sept hectares du domaine Aythaya, dix variétés sont à l’essai depuis plusieurs années. Aujourd’hui, les premiers résultats émergent. « Le cabernet sauvignon ne pousse pas chez nous. Le merlot, le pinot noir, le riesling ne sont pas géniaux. En revanche, le syrah et le tempranillo fonctionnent bien », détaille Hans-Eduard Leiendecker au milieu des parcelles. Pour maîtriser le développement de ses plantes, l’homme a dû réapprendre à couper les vignes en fonction des conditions locales, tandis qu’il les nourrit de compost maison et leur administre des hormones de croissance.

Mais ce n’est pas tout de dénicher des variétés au rendement correct. « Le gros problème, ce sont les champignons parasites. Ils attaquent les feuilles et les fruits… et se développent même plus vite que les raisins ! Dans la vallée de la Moselle, où j’œuvrais avant, on devait traiter les plantes durant quatre mois par an. Ici, c’est onze mois ! »

Entre 50 et 100 kg de pesticides

Pas très écolo donc, le vin des tropiques ? L’Allemand Bert Morsbach, qui a fondé le vignoble Aythaya en 1999 (1) et en dirige aujourd’hui les ventes depuis Rangoun, l’ex-capitale, concède : « Ce n’est pas un hasard s’il n’y avait pas de vin ici avant que nous l’importions. On doit davantage tricher avec la nature qu’en Europe. » Il défend toutefois son produit : « On utilise tellement peu de produits chimiques que les sols n’en sont pas affectés. » Ce qui est sûr, c’est que les vignes birmanes ne sont pas les seules à recevoir des traitements.

Selon une étude de 2007 (2) menée par l’œnologue américain Tyler Colman et l’expert en développement durable Pablo Räster, entre 50 et 100 kg de pesticides et d’engrais sont employés en moyenne dans le monde pour chaque tonne de raisin à vinifier – contre 40 kg par tonne de céréales. Si elles ne sont pas vertes, les 120 000 bouteilles – du rouge et du blanc – produites chaque année par les deux Allemands sont solidaires. Elles assurent en effet un travail régulier et, pour la région, bien payé – 30 % de plus que la moyenne locale – à une centaine de personnes. Mieux, les salariés bénéficient du droit au congé maternité et d’une assurance sociale. Tandis qu’une partie des recettes de l’entreprise est redistribuée à des projets sociaux, dont un orphelinat et une école. —

(1) Longtemps, les investissements étrangers n’ont pas été officiellement autorisés en Birmanie, mais le business du vin est toléré par les militaires.

(2) A lire ici


En Inde, la note salée du vin

En 2010, on comptait 150 000 hectares de vignes entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, soit un cinquième de la surface viticole française. A la tête de ce marché, l’Inde, avec 100 000 hectares. Mais son vin coûte cher à produire : autour de 60 centimes le kilo de raisin, contre 25 aux Etats-Unis. La principale raison ? Les vignes, qui produisent en moyenne trois fois moins de raisins que dans les zones tempérées. —

Le site du vignoble Aythaya

Le blog de Tyler Colman

Le portail du vin indien