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Le steak artificiel peut-il nourrir le monde (et les végétariens) ?
mercredi, 7 août 2013 / Amélie Mougey

Moins de gaz à effet de serre, aucune souffrance animale : le steak in vitro, présenté ce lundi, réconciliera-t-il goût pour la viande et alimentation responsable ? Chercheurs et défenseurs des animaux en doutent.

Nous sommes en 2033, le dernier abattoir a mis la clé sous la porte, terrassé par le steak in vitro. Voilà le scénario dont rêve l’association Peta. En 2008, ces militants des droits des animaux promettaient une prime d’un million de dollars à qui mettrait au point de la viande commercialisable fabriquée en laboratoire. Avec la dégustation ce lundi à Londres du premier steak de laboratoire, produit en six semaines à partir de cellules souches, leur souhait est presque exaucé. Presque, car à 250 000 euros le burger, le produit mis au point par l’équipe du chercheur néerlandais Mark Post est encore loin d’envahir nos supermarchés. Pour le scientifique, la révolution aura lieu d’ici « dix à vingt ans ». En 2033 donc, nous pourrions, selon lui, trouver dans le même rayon « deux produits ayant exactement le même goût et la même apparence ».

« On ne peut pas parler de viande »

L’assurance de l’équipe de l’université de Maastricht laisse les scientifiques français sceptiques. « On ne peut pas, à proprement parler, utiliser le terme de viande, ni même celui de muscle, pour désigner ce que nos confrères ont créé » nuance Jean-François Hocquette, directeur de recherche en biologie musculaire à l’Institut scientifique de recherche agronomique (Inra) de Clermont-Ferrand, « il s’agit d’un amas de tissu musculaire, comme celui qu’on sait déjà fabriquer pour les opérations médicales », relativise-t-il. Or, dans un muscle il y a aussi des nerfs, des cellules adipeuses, des vaisseaux sanguins « et pour que tout cela devienne viande, il faut une phase de maturation ». Le steak in vitro a donc des lacunes, confirmées à la dégustation : « manque de gras », ont conclu lundi les deux goûteurs, par ailleurs plutôt satisfaits.

Détails gustatifs et linguistiques mis à part, l’invention fait toujours rêver. Sachant qu’à l’horizon 2050, la FAO prévoit une multiplication par deux de la viande consommée dans le monde – soit 465 millions de tonnes - et que, selon le même organisme, l’élevage est responsable à lui seul de 18 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, faire « pousser » la viande sans l’animal pourrait résoudre cette effrayante équation. « La production de viande à partir d’un processus industriel simple émettra certainement moins de gaz à effet de serre que l’agriculture » confirme Michel Doreau, lui aussi directeur de recherche à l’Inra, spécialisé sur l’impact environnemental de l’élevage, « mais en l’absence d’usines de production fonctionnelles, ce gain est impossible à quantifier ».

Qui se laissera tenter ?

Incertaine donc, la formule ne fonctionne qu’à une condition « il faut que la viande in vitro se substitut à la viande classique et non qu’elle s’ajoute aux 65 milliards d’animaux abattus chaque année » souligne Aurélia Greff porte-parole de l’association végétarienne de France. « C’est peut-être intéressant pour les pays émergents, où la demande de viande augmente mais qui comptent certaines populations, comme les Hindous, réticentes à tuer des animaux » estime-t-elle.

En France, qui se laissera tenter par la viande de labo ? A priori pas les végétariens : « quelqu’un qui a arrêté de manger de la viande le vit souvent très bien, il n’y reviendra pas pour un steak in vitro », parie Aurélia Greff. Plus généralement, « ceux qui s’interrogent sur leur alimentation n’opteront pas pour un produit artificiel, avance Christophe Marie, porte-parole de la fondation Brigitte Bardot, tandis que les gros mangeurs de viande chercheront le même goût » note-t-il. Or, « aujourd’hui personne n’est capable de créer les saveurs et la diversité des pièces de boucherie » confirme Jean-François Hocquette à l’Inra.

Hormones, antibiotiques et sérum

Alors pour le barbecue, viande naturel ou in vitro ? Pour l’instant, la question ne se pose pas. Avant d’atteindre la grande distribution, le steak artificiel devra décrocher son autorisation de mise sur le marché. Et ce n’est pas gagné. Mark Post a beau affirmer qu’il donnerait sans réfléchir un steak in vitro à son fils, à la cantine de l’Inra, Jean-François Hoquette et Michel Doreau ne se rueraient pas sur le plat. « Il reste des inconnues sanitaires » souligne Jean-François Hocquette, « lors de la multiplication cellulaire, il n’est pas exclu que des cellules cancéreuses apparaissent, leur ingestion n’est a priori pas dangereuse mais ça poserait un problème d’acceptabilité ». Et le sobriquet « Frankenburger », déjà en vogue au Royaume-Uni, n’est pas pour rassurer. D’autant que dans la boîte de pétri, où se multiplient les cellules, des hormones de croissance, antibiotiques et autres sérums sont aussi présents. « Pour l’instant on ne sait rien de ce qui se retrouve dans le produit final » souligne Michel Doreau rappelant au passage que le bœuf aux hormones est interdit dans toute l’Union Européenne depuis 1988.

Coût des recherches, obstacles administratifs, le steak de labo vaut-il la peine ? Pour la porte-parole de l’association végétarienne de France une solution plus simple et économique existe : y aller mollo sur le gigot. Aux carnassiers invétérés, Aurélia Greff conseille le « simili-carne », poulet, saucisses et autres jambons végétaux « au goût si proche de la viande qu’il n’y a pas besoin de nouvelle invention ». Des produits également plébiscités par l’agronome économiste Michel Griffon : « Si on choisit de manger moins de viande de meilleure qualité, notre santé y gagne et on pourrait se passer de l’élevage bovin au grain. »

Quid alors de la viande in vitro ? « Inutile », tranche le spécialiste, « c’est une fuite en avant ». Pire encore, la fondation Brigitte Bardot craint des effets pervers, « cette innovation risque d’agir comme la fourrure artificielle, estime Christophe Marie, déculpabiliser le consommateur et créer la confusion au moment même où une prise de conscience émerge ».