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My fracture linguistique is rich
jeudi, 22 avril 2004 / David Garcia , / Toad

Devenue l’espéranto des affaires, la langue du prince Charles fait sa loi dans les entreprises. Entretiens d’embauche, courriers électroniques, questionnaires d’évaluation, réunions stratégiques... L’usage systématique de l’anglais frise parfois l’idéologie et se fait au détriment des salariés peu "fluent", qui voient leur carrière stagner. Plus grave : le tout anglais représente une menace objective pour les passagers des compagnies aériennes.

Au quotidien, Frédéric Brunel travaille, pense, et... rêve en anglais. "Pour ce qui est des rêves, uniquement lorsque je me déplace à l’étranger", nuance avec un brin de coquetterie ce directeur export d’un joaillier international. S’il peut prêter à sourire, un tel zèle en dit long sur l’importance que les entreprises et les salariés accordent à l’anglais. Pour accéder à ce poste, Frédéric Brunel a dû enchaîner cours intensifs en Angleterre et stages en immersion. "Garder un bon niveau dans une langue étrangère exige un effort permanent, je ne lis plus que des journaux en anglais, je ne regarde que des DVD de films américains en VO non sous-titrée et j’ai complètement arrêté de lire des romans en français", explique-t-il.

Pas de carrière sans l’anglais

Comme le note l’ex-ministre de la culture Catherine Tasca, "le niveau en anglais est devenu un élément décisif du déroulement de carrière, notamment dans les groupes où la mobilité géographique des cadres est de règle" (1). Et pour cause : un nombre croissant de multinationales françaises, petites et grandes, optent pour l’anglais comme langue de travail. Sans état d’âme ni questionnement sur la pertinence d’un tel basculement. "Il existe rarement une véritable politique linguistique, au sens d’une réflexion approfondie débouchant sur des choix stratégiques, remarque encore Catherine Tasca. Ce sont les usages qui priment. Les pratiques linguistiques sont considérées comme une des formes de l’adaptation de l’entreprise à son environnement".

Mèls, téléphone et réunions

"Les stratégies linguistiques des entreprises sont souvent mises en œuvre de manière implicite, parfois subreptice, sans donner lieu à des décisions écrites ou des orientations officielles", explique de son côté Jean-François Baldi, chef de la mission emploi au sein de la Délégation générale à la langue française (2). Courriers électroniques, conférences, échanges téléphoniques, réunions, l’anglais tend à s’imposer dans toutes les circonstances de la vie en entreprise.

Un pour tous, tous en anglais

"Il suffit d’une personne non francophone pour que la réunion se tienne en anglais, même si 20 français ou plus sont présents", témoigne Alain de la Clergerie, responsable des achats et délégué du syndicat de cadres CGC au sein du groupe franco-espagnol Altadis. Le syndicaliste ne trouve rien à redire à cette hégémonie. Pas plus que cet ingénieur de Gemplus : "Seul l’anglais peut jouer le rôle de vecteur commun", assure Gilbert Gros.

Votre TOIEC s’il vous plaît !

Reste que tout le monde n’appréhende pas l’obligation de parler l’anglo-américain avec le même entrain. Sylvie Albert, ex-responsable marketing d’IBM s’est fait licencier pour, entre autres raisons, "maîtrise insuffisante de l’anglais". Chez Renault, un cadre doit obtenir une note de 750 au TOIEC (Test of English for International Communication) s’il veut être embauché. Pas de problème en général pour les jeunes diplômés frais émoulus d’écoles d’ingénieurs ou de l’Université.

Carrière stoppée

Mais il en va tout autrement des techniciens plus âgés en quête de promotion interne. "Ils ont les compétences techniques appropriées mais pas forcément le niveau en anglais, ce qui va freiner voire stopper leur évolution de carrière", déplore Pierre Nicolas, délégué CGT. Certains salariés de Renault ont néanmoins pris le parti d’en rire. "Quand un nouvel informaticien débarque, ses collègues lui demandent s’il a bien passé son TOIEC en informatique", s’amuse Pierre Nicolas.

Le fossé des polyglottes

Il reste qu’une sorte de fracture linguistique saperait insidieusement la cohésion sociale des entreprises. "L’anglais devient un outil de sélection, au même titre que le diplôme", observe Serge Airaudi, consultant en management et en organisation des entreprises. Au point de créer un clivage profond entre salariés. "L’exigence de l’anglais contribue à creuser un peu plus le fossé entre une élite de cadres dirigeants polyglottes capables de sauter avec aisance d’une entreprise à l’autre et la masse des employés de base, voués à occuper des postes subalternes", poursuit Serge Airaudi...

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