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Hôpitaux brésiliens : « J’ai vu des gens mourir près de moi »
mardi, 16 juillet 2013
/ Hélène Seingier
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Attente interminable, manque de médecins, matériel désuet…, les Brésiliens sont en rogne contre les conditions misérables de soin et réclament une amélioration du système de santé publique.
Le jour où il s’est fait renverser par une voiture a marqué le début du cauchemar pour Eduardo, jeune serveur de Niteroi, la ville jumelle de Rio de Janeiro, au Brésil, de l’autre côté de la baie de Guanabara. Aux urgences, il passe deux jours dans un couloir avant de voir un médecin, sans même l’aide d’une infirmière pour prendre une douche. « C’était horrible, j’ai vu des gens mourir près de moi, des personnes blessées par balles », raconte-t-il. Il patientera encore trois semaines avant d’être opéré de la jambe et attend désormais une place pour une chirurgie du visage. « Mais je sais déjà que ma bouche va rester déformée, il aurait fallu opérer beaucoup plus tôt », soupire-t-il.
Attentes interminables, prise en charge médiocre et décès évitables : ces histoires sont légion dans les hôpitaux publics brésiliens. Si le SUS (« Système universel de santé ») garantit officiellement une prise en charge gratuite à tous les habitants, les médecins eux-mêmes parlent de « loterie », voire de « mouroir ».
Naiha Arandia, généraliste depuis vingt-trois ans dans un hôpital public de Rio, se plaint de l’IRM en panne, des lits qui font défaut et du manque de coordination entre les établissements. « On n’a nulle part où envoyer les patients, soupire-t-elle. Du coup on traite au même endroit la victime d’AVC et la personne qui souffre d’une simple diarrhée. C’est terriblement frustrant. » Aussi plus d’un quart des Brésiliens – tous ceux qui peuvent se le permettre – fuient-ils vers le système privé. Otavio engloutit ainsi 170 euros par mois, 8% de ses revenus de chauffeur de taxi, dans l’assurance santé de sa famille. « On devient otages des mutuelles, sourit-il. Et le jour où on tombe malade, on réalise que les hôpitaux privés aussi sont débordés. »
Du coup les malades deviennent des « patients » au premier sens du terme. Cela fait deux jours qu’Eliane, petite dame engoncée dans une blouse colorée, a poussé la porte de cet hôpital municipal de Niteroi après une hémorragie. « Ils m’ont installée dans le couloir, au moins c’est aéré, confie-t-elle en feuilletant sa Bible. Dans les dortoirs, il circule toutes sortes de maladies. » Ancienne assistante à domicile et déjà arrière-grand-mère à 46 ans, elle s’apprête à attendre là tout le week-end : l’unique gastro-entérologue de l’hôpital consulte seulement le lundi.
Bousculé par les manifestations monstres du mois de juin, le ministre de la Santé a reconnu le problème : « Le Brésil manque de médecins et ils sont mal répartis sur le territoire. » Il promet d’investir 4 milliards d’euros dans le réseau de santé publique et d’envoyer, dès septembre, des centaines de praticiens étrangers en Amazonie et dans les banlieues difficiles, là où aucun diplômé brésilien n’accepte de s’exiler.
« C’est une mesure ponctuelle et électoraliste, tranche Naiha. Le problème, c’est que les salaires du public sont misérables. » Malgré plus de vingt ans d’expérience, sa rémunération stagne toujours à 1 800 reals par mois (610 euros, ce qui correspond – chiffres 2011 – au salaire moyen brésilien). « Je touche des primes grâce à mon ancienneté et lorsque je fais des gardes, décrit-elle. Mais quand je partirai en retraite je toucherai 1 800 reais, pas un centime de plus. Comment voulez-vous éveiller des vocations chez les jeunes ? »
L’infirmière Karina de Souza (1), chargée de gérer le flux de patients dans une de ces unités, est écœurée. « Je vois bien qu’on pourrait renvoyer certains malades chez eux, dit-elle. Mais mes chefs m’obligent à les garder ici car les cas légers leur coûtent moins cher que les patients en état grave. » La jeune femme obéit en silence, elle a besoin de son travail. Mais elle sait que pendant ce temps, aux urgences, des Brésiliens meurent dans les files d’attente.
(1) Le prénom a été modifié.