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Vous voulez sauver la montagne écossaise ? Achetez-la !
lundi, 15 juillet 2013 / Amélie Mougey

« Sauvez les Highlands, achetez-en une parcelle » : voilà en substance le message porté par deux écolos. Depuis 2007, leur entreprise vend, pour mieux les restaurer, des petits mètres carrés d’Ecosse au monde entier.

Mis à jour le 19 juillet à midi

Au mois de mai, du haut de ses 77 ans, Andrée Largillière est partie planter sa tente dans les Highlands. Au cœur des montagnes écossaises, cette grand-mère, mi-lilloise mi-parisienne, se sent littéralement chez elle. « Désormais, on peut m’appeler ’Lady’ », s’amuse la retraitée. Pour la modique somme de 130 livres (soit 150 euros), elle partage avec sa petite fille quelque 10 mètres carrés de terre tourbeuse. Ce confetti « à la vue imprenable » sur la chaîne montagneuse fait partie des 100 hectares de Glencoe Wood proposés par Highland Titles, entreprise écossaise qui œuvre pour la protection d’espaces naturels en vendant des micro-parcelles aux particuliers. Les habitants du district de Glencoe tiquent un peu. Ils accusent la famille Bevis, fondatrice d’Highland Titles, d’utiliser l’attrait touristique associé au nom de Glencoe alors que leurs parcelles sont installées sur le district de Lochaber. Peter Bevis, le co-fondateur, fait pourtant la différence entre Glencoe – le nom officiel du district – et Glencoe Wood – celui qu’il a donné au terrain proposé à la vente : « Nous avons toujours dit exactement où se trouvait nos parcelles, à dix kilomètres au sud de Glencoe. »

Camping autorisé sept jours par an

« En arrivant sur place, au milieu de nulle part, j’avais un peu peur de m’être fait arnaquer, confie la propriétaire, mais on a sorti notre GPS, on a entré les latitudes et longitudes et on a trouvé notre terrain. » Mais son acte de propriété, accompagné d’un DVD sur la région et d’un autocollant, ne donne pas tous les droits. Ayant souscrit à la formule intermédiaire, Andrée Largillière et sa petite-fille ne sont autorisées à camper que sept jours par an. Mais l’enjeu n’est pas là. « C’est surtout une manière amusante de contribuer à la préservation d’un espace naturel menacé », explique l’heureuse signataire.

Car au fil des siècles, le visage de ces touristiques sommets écossais a changé. Les vaches chevelues et les allées de conifères ont peu à peu remplacé les forêts de feuillus. « Résultat, 99% de la forêt originelle a été détruite », déplore Peter Bevis, cofondateur du projet. « On avait pour ambition de restaurer l’écosystème naturel, de faire revenir les martres, hermines et becs croisés qui ont perdu leurs milieux naturels. » Sauf que pour débarrasser Glencoe Wood des stigmates de l’exploitation forestière et pour planter de nouvelles pousses, les bras des bénévoles n’ont pas suffi. Alors Laura Bevis, fille de Peter Bevis et cofondatrice, a imaginé un système de financement participatif avec, à la clé, un titre de propriété.

Près de 100 000 micro-propriétaires

Et les acheteurs ont suivi. « En 2007, lorsqu’on a contracté un prêt pour acheter les terres de Glencoe Wood, on ne pensait jamais convaincre suffisamment de micro-propriétaires pour rembourser », se souvient Peter Bevis. Aujourd’hui, avec près de 100 000 signataires, les ambitions de départ ont largement été dépassées. Autour de sa parcelle, Andrée Largillière a découvert des dizaines de piquets, témoins du passage d’autres propriétaires. Il faut dire que la loi facilite les choses. En Ecosse, les titres de propriété liées à des parcelles de quelques mètres carrés n’ont pas besoin de figurer sur les registres de l’Etat. Ils ne nécessitent donc pas d’acte notarial. De simples contrats commerciaux suffisent.

La grande majorité ne mettra jamais les pieds sur son terrain. « On a beaucoup de Lord et Lady français mais aussi chinois, japonais et australiens », se félicite Peter Bevis. Attention, rien à voir avec les titres de noblesse délivrés par la Reine. Ces titres-là ne sont que pour le « fun », souligne Peter Bevis. Et nombreux sont ceux qui détiennent un titre de propriété pour moins d’un mètre carré. « Plus que posséder la terre, le but premier des gens c’est d’agir pour l’environnement : ils achètent une parcelle comme ils donneraient de l’argent à une association », explique le fondateur.

Morceler pour dissuader de potentiels promoteurs immobiliers

A 65 euros environ le mètre carré, les banquiers sont rassurés. Financièrement, l’entreprise Highland Titles se porte bien. Mais Peter Bevis se défend de chercher à faire du profit. Les bénéfices doivent être réinvestis. « Depuis l’an dernier, on tente d’acheter de nouveaux terrains pour, au minimum, doubler la surface actuelle », explique le biologiste à la retraite. Car au-delà de la restauration immédiate des écosystèmes, Peter Bevis et sa fille conçoivent Highland Titles comme une stratégie à long terme : « L’idée en morcelant les parcelles, c’est de sanctuariser le lieu à tout jamais. » Pour l’instant, les craintes d’une urbanisation effrénée sont infondées, Glencoe Wood fait partie d’une zone naturelle protégée.

« Oui mais dans cinquante ou cent ans ? », s’inquiète Peter Bevis. « Les règles peuvent changer et puisque nous avons trouvé l’endroit sublime, il y a toujours le risque qu’un promoteur immobilier soit de note avis ». Sauf qu’en morcelant les parcelles, Highland Titles a fait du rachat potentiel d’une surface constructible un pur casse-tête. « On m’a confirmé que mon titre ne se périmera pas, précise Andrée Largillière, mes trois enfants hériterons donc chacun de 3 m2. » Si dans une centaine d’années une idée de complexe touristique à Glencoe Wood surgit, les fondateurs de Highland Titles souhaitent bien du courage aux porteurs du projet. Car à travers le monde, les descendants d’au moins 100 000 « Lord » et « Lady » pourront brandir leurs titres de propriété.


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