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Augmentation du prix de l’électricité : la faute au nucléaire
jeudi, 11 juillet 2013 / Amélie Mougey

Pas chère l’énergie nucléaire ? Pas si sûr… L’affirmation ne résiste plus au vieillissement des centrales françaises. Les dépenses croissantes pour les faire fonctionner se répercutent sur les tarifs de l’électricité.

A partir du mois d’août, votre facture d’électricité s’alourdit de 5%, soit la bagatelle de 35 à 50 euros en moyenne par an. L’an prochain rebelote, la même hausse devrait intervenir au même moment. Si pour 2015 la confusion règne, on ne peut plus s’y tromper, la tendance est lancée. Estimez-vous heureux : les dégâts ont été limités. L’augmentation décidée par le gouvernement est plus modérée que celle - de 6,8% à 9,6% - préconisée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Car, comme l’indique l’autorité administrative indépendante dans son dernier rapport produire de l’électricité coûte de plus en plus cher. En 2012, les tarifs en vigueur ne compensaient pas les coûts de production, de transport et de commercialisation de l’énergie.

A qui la faute ? A l’augmentation du prix des combustibles et des charges de personnel, en partie. Mais surtout au parc nucléaire. L’atome, pourtant longtemps considéré comme la clé d’une énergie bon marché, plombe de plus en plus la comptabilité d’EDF et, par ricochet, menace de déstabiliser celle des ménages.

« Un mensonge d’Etat est en train de tomber »

En 2012, sur cent euros dépensés par un particulier pour s’acquitter de ses charges en électricité, près d’un quart finançait la production d’énergie nucléaire. Et cette part est vouée à croître. De combien ? Le rapport de la CRE ne s’avance pas. Mais en lisant entre les lignes, on soupçonne l’ampleur de la hausse. Lorsqu’elle en détaille les causes, l’autorité explique qui 75% des coûts de l’énergie sont aujourd’hui liés « à la nature industrielle d’EDF qui détient un parc de production pour la majorité constitué de centrales nucléaires dont la construction, l’exploitation et le démantèlement constituent des activités à forte intensité capitalistique ». L’affirmation a de quoi faire taire les cocoricos. Rapport de la CRE sur les bras, la France peut difficilement continuer à s’enorgueillir de payer son énergie moins cher grâce à son potentiel nucléaire. « Un mensonge d’Etat est en train de tomber, s’exclame François de Rugy, président des députés EELV. En ouvrant les portes des placards, on découvre les hausses de prix cachées. »

La rénovation des centrales aussi chère que leur construction ?

D’abord les centrales existantes, dont la moyenne d’âge dépasse 25 ans, nécessitent de lourds investissements. Entre visites de contrôle et remplacements des transformateurs, le parc nucléaire historique - construit dans les années 1970-2000 - se transforme progressivement en gouffre financier. Sur la période 2007-2012, les dépenses qui lui sont consacrées ont augmenté de 22% par an, d’après la CRE. Au total, EDF estime que la prolongation pour dix ans supplémentaire de la durée du vie de ses centrales nécessitera au bas mot 45 milliards d’euros. Mais le Nouvel observateur croit savoir que ces estimations - qui datent de 2006 - sont en cours de révision. Elles atteindraient en fait entre 70 et 100 milliards d’euros. Cette somme, pourtant uniquement dédiée à la réhabilitation, se rapproche du coût de la construction initiale des 58 réacteurs français (121 milliards d’euros). Sans compter la construction de l’EPR de Flamanville, dont le devis est déjà passé de 3 à 8,5 milliards d’euros.

Et ce n’est qu’un début. La mise en place des mesures de sécurité, imposées aux centrales françaises par l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) après l’accident nucléaire de Fukushima, commence également à peser sur les factures. Depuis 2011, pour parer à toute éventualité, « une force d’action rapide du nucléaire » de 300 personnes est en formation. Mais ce renforcement de la sécurité n’en est qu’à ses balbutiements. Les étapes suivantes, améliorer la résistance des installations face « aux risques d’inondations et de feu de sodium (incendies liés à une fuite de sodium, bénin mais difficilement gérables, ndlr ) », « bunkeriser » les installations électriques et construire « des locaux de crise robustes », sont les plus onéreuses. Pour respecter les 19 décisions de l’ASN et leurs 600 prescriptions techniques, EDF évoquait début 2012 une enveloppe de 10 milliards d’euros. Une estimation que le Réseau sortir du nucléaire jugeait alors timide, préférant parler au pluriel de « dizaines de milliards d’euros ».

Démantèlement et risques d’accident : « la politique de l’autruche »

Dans un article au nom sans équivoque - Le coût du nucléaire en France : secret, incertitude et spirale, en pdf –, les cahiers de Global Chance indiquait en 2011, que le prix du mégawattheure d’électricité nucléaire qui coutait 31 euros à l’époque, pourrait doubler pour dépasser les 60 euros dans la foulée des « stress test » post-Fukushima. L’année suivante, il atteignait déjà 49,5 euros. Aujourd’hui le chiffre actualisé n’est pas communiqué. « En réalité, les surcoûts liés à la sécurité nucléaire sont la boîte noire d’EDF », glisse Marc Jedliczka. Le porte-parole de l’association NégaWatt - qui à grand renfort de scénario, prône la sortie du nucléaire - voit dans la récente hausse des tarifs un simple « début de commencement d’une reconnaissance du coût réel de l’énergie nucléaire ».

Car les inconnues pèsent lourd. Démantèlement, enfouissement des déchets, assurance des risques d’accident, « on est en pleine politique de l’autruche », s’emporte François de Rugy. Des estimations circulent, mais elles sont constamment réévaluées. En 2005, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) estimait le coût de l’enfouissement des déchets nucléaires à 15 milliards d’euros, sept ans plus tard cette somme a plus que doublé. Or, le rapport de la CRE rappelle que depuis 2006, tout exploitant d’une centrale nucléaire à l’obligation de couvrir les charges futures « par un porte-feuille d’actifs dédiés ». En gros, EDF devrait mettre de l’argent de côté. « Ce qui n’est pas le cas », déplore Marc Jedliczka.

Moins d’1% du coût d’un accident est aujourd’hui couvert

« Cette démarche devrait également concerner les risques d’accident », soutient le militant. Mais les montants seraient pharamineux. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) évalue le coût d’un accident nucléaire en France à plus de 400 milliards d’euros. Or actuellement un sinistre ne serait couvert, principalement par l’Etat, qu’à hauteur de 345 millions d’euros, soit moins de 1 pour 1000.

Autre facette du nucléaire sur laquelle les exploitants ferment volontiers les yeux : le coût du démantèlement des centrales. Jusqu’à présent, difficile d’en avoir ne serait-ce qu’une vague idée, pour la simple et bonne raison qu’aucune, à ce jour, n’a été totalement démontée. La centrale de Brennilis en Bretagne, arrêtée depuis 1985 et toujours en cours de démantèlement, constitue le seul repère. En 2005, la Cours des comptes évaluait les opérations à 482 millions d’euros, aujourd’hui le chiffre dépasserait 2 milliards. « Pour l’instant EDF sous-subventionne complétement cet aspect du nucléaire, dénonce François de Rugy, par conséquent, il n’est pas exclu qu’une “ligne participation au démantèlement” apparaisse bientôt sur nos factures. »

Une augmentation socialement injuste

Aucun doute donc, la note sera de plus en plus salée. « Si le gouvernement arrête de maintenir des tarifs artificiellement bas, la hausse est inéluctable », annonce Marc Jedliczka. Pour sortir de l’impasse, François de Rugy ne voit, lui, qu’une solution : réduire la consommation. Plus concrètement ? « Le chauffage électrique est une aberration c’est le moment de s’en débarrasser. » Un investissement qui, contrairement à ceux destinés aux centrales, pourrait très vite devenir rentable.