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2/6. San Joaquin Valley, démesure agricole à l’américaine
lundi, 29 juin 2009
/ Anne Sengès / Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement. , / Gilles Mingasson |
Barrages, réservoirs et canaux ont transformé ce désert en grenier à fruits et légumes du pays. Aujourd’hui, la sécheresse qui sévit depuis trois ans n’épargne pas la vallée mais elle n’empêche certaines gros exploitants de jouer les aventuriers des nouvelles technologies agricoles. Deuxième étape sur la route du paradis vert californien.
La Highway 5, gigantesque artère qui relie les principales villes californiennes, traverse la vallée agricole de l’Etat. Trucks et 4X4 écrasent les Prius. L’empreinte carbone de notre Ford Fusion s’en trouve soudain ridicule. Le paysage, constitué pour l’essentiel de chaînes de fast-food et de stations-service est monotone. L’herbe est jaunie par la sécheresse. Une croix, gravée sur la montagne, indique que nous pénétrons dans Jesus Land, symbole d’une autre Californie. Conservatrice. Au loin, sur le col de l’Altamont, s’accroche une forêt d’éoliennes. Construite en 1983, c’est l’une des plus grosses fermes au monde avec quelque 5000 turbines. Elle est aussi très prisée des rapaces et des oiseaux migrateurs, ce qui lui vaut une image désastreuse. Elle tue chaque année des milliers de volatiles dont une centaine d’aigles royaux, espèce sacrée.
Ici, transpirent des milliers de travailleurs saisonniers originaires du Mexique. La grosse majorité d’entre eux – de 50 % à 90 % – sont sans papiers. Cette région, immortalisée par John Steinbeck dans Les Raisins de la colère, est aussi la plus pauvre de l’Etat. Le taux de chômage flirte avec la barre des 40 % dans certaines communautés. « C’est également, à cause de son agriculture extensive, le lieu où la qualité de l’air est la plus mauvaise en Californie », explique Kathryn Philipps, spécialiste de la question à l’Environmnental Defense Fund.
La vallée a pris de plein fouet la sécheresse qui sévit dans l’Etat depuis trois ans. La zone est rationnée. Cette anomalie climatique contraint les agriculteurs à mettre leurs terres en jachère et licencier leurs employés : 95 000 emplois sont aujourd’hui dans la balance. On estime à 2 milliards d’euros le manque à gagner potentiel d’ici la fin de l’année. En Californie, 80 % de l’eau consommée est destinée à l’agriculture. Or cette année, les fermiers n’ont eu droit qu’à 10 % des réserves qui leur sont habituellement allouées. Ici, l’incidence du changement climatique risque de modifier bien des comportements dans les prochaines années.
« John Diener est un early adopter, c’est-à-dire qu’il teste toutes les nouvelles technologies », abonde Kathryn Philipps, de l’Environmental Defense Fund. Il n’hésite pas à prendre des risques pour rendre son exploitation plus productive et moins polluante. Cette année, par exemple, il a renoncé à planter melons, oignons, ail et coton. Sur ses terres, il cultive aujourd’hui de la luzerne, des tomates, des amandes, du maïs, du blé et des raisins. Pour faire face à la salinisation des sols, il teste actuellement un système utilisant les eaux de drainage de sols salés afin d’arroser des cultures qui tolèrent un niveau de sel élevé.
John n’est jamais à court d’idées. Bonnes ou mauvaises d’ailleurs. Depuis 2006, il irrigue ses champs grâce à des pivots gigantesques. Automatisés, ils sont contrôlables à distance. C’est José Lopez, fidèle employé au visage buriné, qui s’y colle au quotidien. Un brin paternaliste, John Diener assure n’avoir sous sa responsabilité aucun travailleur illégal. Son exploitation compte 30 salariés à plein temps, dont la plupart travaillent au ranch depuis plusieurs années. Pour lui, le développement durable se conjugue selon les principes de la carotte et du bâton : « Au bout de cinq ans, j’accorde une prime de 3 500 euros à mes salariés, afin qu’ils puissent disposer d’un apport pour leur emprunt immobilier. »
Avec 202 342 hectares de terres cultivées, la Californie reste le premier producteur bio du pays. John Diener a trouvé une autre marotte : les énergies renouvelables. L’homme a déboursé 30 000 euros pour se payer la gigantesque éolienne qui trône au milieu de ses terres. La moitié lui sera remboursée en subventions. Alors que le soleil se couche sur la vallée, l’intarissable fermier nous emmène dans sa villa cossue pour nous servir un verre de vin blanc. Et partager sa dernière lubie : transformer la betterave en carburant.
Photos Gilles Mingasson
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