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Chocolat : des labels à côté de la plaque
lundi, 24 juin 2013 / Alexandra Bogaert

Nestlé, Mars et bien d’autres commercialisent des chocolats ni bios ni équitables mais certifiés « durables » par des ONG. Une enquête française montre les limites du système. Le point avec François Ruf, économiste au Cirad.

La Côte d’Ivoire est le plus gros producteur de cacao au monde. Chaque année, on y retire entre 1,2 et 1,5 million de tonnes de fèves des cabosses. En 2008, les premières certifications « durables » des plantations de cacao ont été promues par l’agro-industrie, pour se faire une place aux côtés des marchés de niche équitable et bio. Attribuées par les ONG Rainforest Alliance et Utz, ces certifications garantissent de bonnes pratiques de plantation, favorables à l’environnement. Mais une enquête menée par des chercheurs du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) auprès de 160 plantations ivoiriennes, dont 80 sont certifiées Rainforest Alliance et 80 sont non-certifiées, montre que les différences entre les deux sont ténues. Pire, la certification peut avoir des effets pervers. Le point avec François Ruf, économiste au Cirad, et co-auteur de l’étude.

Terra eco : Quelles garanties sont censées apporter les certifications Rainforest Alliance et Utz ?

François Ruf : Les deux garantissent au consommateur que le cacao a été produit en respectant l’environnement et l’éthique, qu’il s’agit donc d’un cacao durable. Rainforest Alliance insiste sur les aspects environnementaux quand Utz met davantage l’accent sur l’éthique et la lutte contre le travail des enfants.

Et dans les faits ?

Les moyens que ces deux organismes de certification se donnent sont faibles. Une enquête de terrain menée en Côte d’Ivoire nous a montré que les plantations certifiées ne respectaient pas forcément les critères de certification et, qu’au final, ces certifications sont surtout un moyen pour les chocolatiers et les Etats de se donner bonne conscience.

Quel intérêt ont les cacaoculteurs ivoiriens à être certifiés ?

La certification leur permet d’obtenir une prime qui, en Côte d’Ivoire, oscille entre 30 et 50 francs CFA par kilo (de 5 à 8 centimes d’euros, ndlr) de fèves de cacao selon les certificateurs. Cette prime est assez faible comparé au prix du kilo garanti par l’Etat (725 francs CFA par kilo pour la saison 2012/2013, ndlr) mais comme elle est versée les mois où la production de cacao est faible, elle représente un complément de revenu qui arrive au bon moment. Ceci dit, les planteurs ne reçoivent pas toujours l’intégralité de leur prime. La répartition de la valeur tout au long de la filière est très peu transparente mais l’on sait que les traitants et les pisteurs (ceux qui achètent le cacao des planteurs pour le vendre ensuite aux broyeurs et/ou aux exportateurs, ndlr) essaient de récupérer une partie de la manne, notamment en montant des coopératives et en se faisant passer pour des planteurs. Ce faisant, ils peuvent récupérer une autre prime de certification, de 50 francs CFA le kilo, qui revient aux coopératives pour financer la distribution de produits phytosanitaires et les conseils aux planteurs. Car c’est bien ça la base de la certification : financer des conseillers agricoles pour former les villageois afin d’accroître leurs rendements. C’est donc la vulgarisation agricole qui est privatisée via la certification et qui est payée par le consommateur.

Est-ce une critique ?

En théorie, non, l’idée n’est pas négative. Mais ce n’est pas du tout ce qui est dit au consommateur. On lui parle bien-être des planteurs, durabilité, protection de l’environnement et des enfants, alors que la certification s’inscrit avant tout dans une démarche productiviste ! De plus, on peut émettre des doutes sur l’efficacité des techniques promues par la certification, qui ne s’intéressent qu’au rendement à l’hectare sans s’interroger sur la quantité de travail supplémentaire que cela demande au planteur. Si le planteur respectait tous les critères de certification, il est certain que malgré la prime dont il bénéficie, il verrait sa rémunération horaire baisser compte tenu de l’augmentation de sa charge de travail.

Quelles sont ces techniques ?

On encourage par exemple les planteurs à tailler les cacaoyers, à réduire le nombre de tiges pour augmenter la production de cabosses. C’est une technique efficace mais risquée pour l’arbre en cas de sécheresse. Les planteurs certifiés ont augmenté de 20% la taille de leurs arbres, mais on ne sait pas mesurer leur retour sur investissement. Un champ d’action plus ambigu concerne les traitements phytosanitaires. Les coopératives certifiées permettent la distribution de pesticides a priori homologués donc pas trafiqués et moins nocifs. Elles mettent en place aussi des « brigades » professionnalisées dans les traitements phytosanitaires, qui bénéficient d’habits de protection. Ca améliore la qualité des traitements et diminue les incidents sur la santé des planteurs. Ca devrait donc diminuer le recours aux insecticides. Mais c’est l’inverse qui se produit ! On constate chez les planteurs certifiés une augmentation de l’utilisation des insecticides. Ce n’est pas ce qui est dit par les agences de certification... On constate aussi plusieurs techniques agricoles fantaisistes, comme l’obligation pour les planteurs de faire d’énormes trous pour composter les cabosses, ce qui représente une quantité de travail très conséquente. Cette mesure n’est, dans l’ensemble, pas respectée. On demande aussi que les planteurs doublent le rythme des récoltes pour diminuer les maladies sur les cabosses. Ce n’est jamais fait car les planteurs n’en ont pas le temps. Ainsi, la certification tourne parfois à la farce.

La certification garantit-elle un meilleur respect de l’environnement ?

Les aspects environnementaux sont assez fantaisistes. Un exemple : les normes environnementales stipulaient à l’origine qu’il faut dans les plantations 25 grands arbres de forêt naturelle à l’hectare pour maintenir une ambiance forestière et ombragée au-dessus des cacaoyers. Cette norme est l’exacte transposition de celle qui vaut pour les plantations de café en Amérique centrale, là où la pluviométrie est constante. Mais nous sommes en Afrique de l’Ouest ! Certes, le cahier des charges a été revu et impose désormais 18 arbres à l’hectare pour le cacao certifié. Mais, depuis 30 ans, les planteurs ivoiriens suppriment tout ombrage pour augmenter leurs rendements. Dans les faits, vous voyez en Côte d’Ivoire des plantations de cacao certifiées mais en plein soleil et à perte de vue... Les certificateurs disent pour leur défense qu’ils encouragent les cacaoculteurs à planter des plantules, à créer des parcelles dans les villages, etc. Mais sur les aspects environnementaux on est à la limite de l’escroquerie.

Au final, qui profite vraiment de la certification ?

Les planteurs sont intéressés par la prime qui arrondit leurs revenus. Et ils sont satisfaits d’avoir la visite de conseillers, de qui ils reçoivent un peu de considération. Les dirigeants des coopératives aussi sont gagnants, qu’ils soient vraiment planteurs ou pisteurs. Mais la certification est avant tout recherchée par les chocolatiers, conscients à la fois d’une réalité commerciale forte (il y a de la demande pour ce type de produits, ndlr) et du poids des lobbies écolos comme des médias, qui ont largement exagéré le travail des enfants dans les plantations il y a quelques années. La certification est une réponse à tout ça. De leur côté, les ONG qui certifient ont préféré faire des compromis avec les grands groupes plutôt que de se battre contre eux. Mais les objectifs des uns et des autres divergent. Et au final, c’est le consommateur qui paie. Il est grand temps de repenser le mécanisme de certification, car il y a 80% de choses à revoir complètement.

A lire : Certification du cacao, stratégie à hauts risques publié sur l’Inter-réseau Développement rural


Rainforest Alliance répond :

Nous avons sollicité la réponse d’Edward Millard, directeur des programmes cacao, café et thé de Rainforest Alliance. Voici sa réponse, envoyée par mail :

« Nous reconnaissons qu’en Côte d’Ivoire, la certification Rainforest Alliance – qui vise à promouvoir les bonnes pratiques sur l’utilisation de la terre et à améliorer le traitement des personnes qui travaillent dans la plantation - doit s’améliorer. Mais nous faisons des progrès. Une étude indépendante publiée par le Comité d’Evaluation de Durabilité (COSA) en 2012 a montré que les plantations certifées par Rainforest Alliance ont une productivité de 576 kg/ha contre 334 kg/ha dans un groupe non certifié. Et l’étude a noté des bénéfices sociaux comme de meilleurs résultats scolaires chez les fils de planteurs certifiés.

La certification est accordée aux planteurs qui, lors d’un audit externe, satisfont à un certain pourcentage de critères. Dans le cadre de la certification de groupe, il serait trop coûteux d’auditer toutes les exploitations une par une. En Côte d’Ivoire, 89 000 plantations sont certifiées, organisées en 210 groupes (la plupart sont des coopératives). Donc l’auditeur externe n’en visite que quelques unes (avant d’attribuer ou non la certification à l’ensemble, ndlr). Mais toutes sont contrôlées plusieurs fois par an en interne. Et les planteurs reçoivent des visites surprises, qui permettent d’identifier là où il reste encore des progrès à faire.

Bien sûr, la certification a des limites et l’important est de les évaluer, de prendre en compte des effets pervers si on en trouve. On a pu vérifier à travers certains audits surprise que certaines plantations certifiées doivent améliorer beaucoup de choses pour conserver leur certification. Mais ce système est une vraie incitation à investir dans la formation des planteurs, ce qui contribue à la modernisation du secteur. Cela a généré un investissement énorme du secteur privé dans la formation des planteurs et la gestion des coopératives. C’est positif car c’est un modèle durable qui ne dépend pas de l’aide. »


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