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Taxe carbone : le faux retour de l’idée du Grenelle
jeudi, 13 juin 2013 / Arnaud Gossement /

Avocat, spécialiste du droit de l’environnement.

Peut-on instaurer une fiscalité carbone sans nouvelle taxe carbone ? C’est le projet débattu ce jeudi. Le point de vue d’Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement.

Le Comité pour la fiscalité écologique, installé par la ministre de l’Ecologie en décembre 2012 et présidé par l’économiste Christian de Perthuis, publie ce jeudi 13 juin son avis pour « réorienter progressivement cette fiscalité pour envoyer de meilleures incitations environnementales ». Le projet de note repose sur une idée principale : ne pas reproduire l’échec de la taxe carbone subi par le précédent président de la République. Pour ce faire, il propose une fiscalité carbone sans taxe carbone. Comment ? En élargissant l’assiette d’une taxe existante – la taxe intérieure de consommation des produits pétroliers (TIC) – puis en rapprochant progressivement les taux de la taxe pour l’essence et le gazole. L’impact potentiel de cette réforme pour le pouvoir d’achat serait intégralement compensé, principalement par le vecteur du crédit d’impôt pour les ménages les plus modestes.

L’idée est séduisante. Aisée à inscrire dans la prochaine loi de finances pour 2014, elle permettrait semble-t-il d’éviter une nouvelle déclaration d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel. On regrettera cependant que l’analyse juridique de ce projet s’en tienne à la seule prévention de ce risque : une idée - aussi brillante soit-elle - ne sert à rien si sa traduction en règle de droit n’est pas pensée.

L’électricité écartée

Le premier inconvénient de ce projet de fiscalité carbone sans taxe carbone tient à ce qu’il encourage non une fiscalité écologique mais une fiscalité carbone. En clair, il focalise l’attention sur la contribution indéniable des énergies fossiles au changement climatique. L’électricité est donc écartée de ce projet de réforme fiscale. Or, les acteurs du Grenelle de l’environnement, en 2007, avaient trouvé un consensus sur le principe, non d’une taxe carbone mais d’une contribution climat énergie destinée, non pas uniquement à réduire l’impact carbone de notre économie mais bien son impact environnemental au sens large. Le Grenelle avait permis d’entériner le principe d’une baisse globale de notre consommation d’énergie et de refuser d’évaluer l’incidence environnementale de la production d’énergie sous le seul angle de son bilan carbone.

Le gouvernement de François Fillon avait abandonné cette idée d’une contribution climat énergie au projet d’une contribution carbone dont le régime était inscrit à l’article 7 de la loi de finances pour 2010. Celui-ci avait été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel et notamment au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques. Les partisans d’une taxe carbone centrée sur les hydrocarbures et exonérant l’électricité se prévalent depuis de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009. Vite lue, cette dernière est parfois présentée comme interdisant une taxation écologique de l’électricité. Vite dit et faux.

Le Conseil constitutionnel cherche la cohérence

Rappelons tout d’abord que ce même Conseil constitutionnel avait déclaré contraire au principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt l’article 37 de loi de finances rectificative pour 2000, présentée par le gouvernement de Lionel Jospin. Cet article 37 tendait à étendre la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à l’électricité et aux produits énergétiques fossiles. Le Conseil constitutionnel avait notamment critiqué l’élargissement de l’assiette de la TGAP à l’électricité au motif précis que celui-ci était contraire à l’objectif de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre recherché par le législateur :

« 37. Considérant, d’autre part, qu’il est prévu de soumettre l’électricité à la taxe, alors pourtant qu’en raison de la nature des sources de production de l’électricité en France, la consommation d’électricité contribue très faiblement au rejet de gaz carbonique et permet, par substitution à celle des produits énergétiques fossiles, de lutter contre l’effet de serre ; »

A première lecture, le Conseil constitutionnel semble critiquer la taxation de l’électricité nucléaire. Or, la lecture attentive de sa décision permet de comprendre que le Conseil vérifie le lien entre la mesure et son objectif, tel que fixé par le législateur. Ce dernier a en quelque sorte un devoir de cohérence avec lui-même. En clair : si l’unique objectif recherché par le législateur est la réduction des émissions de dioxyde de carbone, l’inclusion de l’électricité décarbonée dans l’assiette d’une taxe verte est – apparemment - contradictoire. Mais un autre raisonnement est possible : si l’objectif du législateur était de lutter contre l’impact environnemental global de notre économie, il ne serait pas incohérent ni même peut être inconstitutionnel de souligner les conséquences écologiques de la production d’énergie même « décarbonée ». Pour les acteurs du Grenelle de l’environnement, l’objectif premier était celui de la sobriété énergétique et des économies d’énergie. Et non d’encourager la production d’électricité nucléaire.

Une réforme cruciale

Nul doute que les auteurs de la note du Comité de fiscalité écologique ont eu constamment à l’esprit la décision du 29 décembre 2009 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 7 de la loi de finances pour 2010, présentée par le gouvernement Fillon et créant une « contribution carbone ». Une réforme qui avait été présentée par le chef de l’Etat comme aussi importante que l’abolition de la peine de mort. En premier lieu, le Conseil constitutionnel avait, ici aussi, clairement indiqué qu’il entendait contrôler l’adéquation de la mesure proposée avec l’objectif poursuivi :

« Considérant qu’il ressort des travaux parlementaires que l’objectif de la contribution carbone est de ‘mettre en place des instruments permettant de réduire significativement les émissions’ de gaz à effet de serre afin de lutter contre le réchauffement de la planète ; que, pour atteindre cet objectif, il a été retenu l’option ‘d’instituer une taxe additionnelle sur la consommation des énergies fossiles’ afin que les entreprises, les ménages et les administrations soient incités à réduire leurs émissions ; que c’est en fonction de l’adéquation des dispositions critiquées à cet objectif qu’il convient d’examiner la constitutionnalité de ces dispositions »

Faisant application de ce raisonnement et de ce principe de cohérence, le Conseil constitutionnel avait alors pointé toutes les exonérations dont était assorti le projet de contribution carbone :

« que sont totalement exonérées de contribution carbone les émissions des centrales thermiques produisant de l’électricité, les émissions des mille dix-huit sites industriels les plus polluants, tels que les raffineries, cimenteries, cokeries et verreries, les émissions des secteurs de l’industrie chimique utilisant de manière intensive de l’énergie, les émissions des produits destinés à un double usage, les émissions des produits énergétiques utilisés en autoconsommation d’électricité, les émissions du transport aérien et celles du transport public routier de voyageurs ; que sont taxées à taux réduit les émissions dues aux activités agricoles ou de pêche, au transport routier de marchandises et au transport maritime »

Un signal peu clair

Ces exonérations sans lien avec l’objectif poursuivi constituent le principal motif de la décision du Conseil constitutionnel. Le projet de contribution carbone ne s’en est jamais remis. Précisons : le Conseil constitutionnel n’a nullement « exigé » que l’électricité soit sortie de l’assiette de la contribution carbone. Il a très exactement critiqué le fait que l’électricité d’origine thermique, fortement carbonée, soit exonérée alors que l’objectif recherché était celui de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dès lors pourquoi exonérer certaines sources d’énergies carbonées et pas d’autres ?

En définitive, le risque juridique d’une censure par le Conseil constitutionnel ne doit pas devenir le prétexte commode pour écarter toute fiscalité écologique et pour se concentrer sur une seule fiscalité carbone exonérant l’électricité. En réalité, beaucoup dépend, on l’a vu, de l’objectif qui sera fixé par le législateur, lors de l’élaboration de la loi de finances.

Il importe donc de ne pas réduire l’analyse juridique à la lecture rapide des décisions du Conseil constitutionnel sous l’angle du « carbo centrisme ». Et de revenir à l’étude d’une contribution climat énergie qui permette d’appréhender globalement notre impact environnemental et la destruction des ressources naturelles. Cela suppose une mesure fiscale simple, stable avec un signal prix clair. Car la capacité d’une mesure fiscale à atteindre son but dépend aussi de sa vertu pédagogique et non pas uniquement de son poids financier. De ce point de vue, le projet présenté au Comité de fiscalité écologique, fondé sur une simple modification de l’assiette et du taux d’une taxe existante sans affichage de la « vérité écologique » du prix finalement payé par le consommateur risque de produire peu d’effets sur la modification des comportements.