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Pavan Sukhdev, un banquier lâché en pleine nature
lundi, 29 juin 2009
/ Anne-Gaëlle Rico
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/ Grégoire Bernardi
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Depuis quinze ans, ce spécialiste indien des marchés affirme que l’eau, la faune et la flore ne sont pas gratuits. L’ONU et l’Europe ont fait de lui leur « monsieur biodiversité ». Rencontre avec un banquier qui aime compter fleurette.
Rasé de près, la raie sur le côté et engoncé dans un costume strict, Pavan Sukhdev a conservé le style du banquier de la City. Pourtant, la dégringolade de la Bourse de Londres le laisse de marbre. Ce spécialiste indien des marchés a en effet accepté de mettre entre parenthèses – momentanément ? – une planète financière en pleine tourmente pour diriger une ambitieuse enquête commanditée par la Commission européenne sur « l’économie des écosystèmes et de la biodiversité » (TEEB). Traduit en bon français, il s’agit d’évaluer le coût économique de la disparition de la biodiversité mondiale. Mais ce défi n’effraie pas l’homme, qui se résume en ces quelques mots : « Profession : banquier. Passion : environnement. »
Le parcours de Pavan Sukhdev ressemble à celui du parfait businessman. De New Delhi à Oxford en passant par la Suisse, il décroche brillamment ses diplômes de finance et de comptabilité. En 1983, il est recruté par l’ANZ Bank, un groupe australien, et s’installe à Londres. Dix ans plus tard, le voilà débauché par la Deutsche Bank (DB). C’est à ce moment que son chemin tout tracé vers les hautes sphères de la banque bifurque. Pavan Sukhdev découvre l’œuvre de David Pearce, pionnier de l’économie environnementale. « Son ouvrage Blueprint for a Green Economy a changé ma vie », raconte-t-il. Le trentenaire écrit alors à l’auteur mais la missive reste sans réponse. Ce n’est que quelques années plus tard, en 2003, que les deux hommes se croisent, dans les coulisses d’un congrès londonien. Pavan Sukhdev propose à son mentor de mettre entre parenthèses sa carrière financière pour étudier sous son autorité. Mais le vieux professeur, impressionné par ses connaissances et son poste à la Deutsche Bank, l’en dissuade. Retour à la case banque.
L’idée consiste à pallier les défaillances du PIB dont l’évaluation ne reflète ni la qualité ni la quantité de la biodiversité et des écosystèmes. La comptabilité verte vise en fait à créer des outils capables de mesurer le coût réel de l’utilisation de l’eau, de la faune, de la flore… et qui permettent d’intégrer la part de ce capital naturel dans les indicateurs économiques. L’année dernière, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), qui a eu vent de ce projet, lui a offert la direction de l’Initiative pour une économie verte. Pavan Sukhdev a accepté le challenge : « En tant qu’économiste, je sais que le modèle économique actuel conduit à la destruction de la planète et du genre humain. »
Son enthousiasme pour ces nouveaux défis en laisse plus d’un pantois. Le professeur Yesuthasen, ancien administrateur de la Reserve Bank of India, et ami depuis vingt ans, confirme. « Pavan n’est pas seulement un ecowarrior, c’est un extraterrestre. Je ne sais pas s’il dort. Quand je lui envoie un mail le matin de Bombay et qu’il le reçoit en pleine nuit à Londres, la réponse arrive une heure après. Sa femme et ses enfants ne le voient pas beaucoup... » Au printemps dernier, Pavan Sukhdev se trouvait donc simultanément à la tête de la division dédiée aux investissements financiers en Inde de la Deutsche Bank, dont il fut le créateur alors que son pays d’origine s’ouvrait à la mondialisation ; aux commandes de la division marchés financiers de l’Asie-Pacifique ; et responsable des initiatives du Pnud et de la Commission européenne.
« Un banquier qui prône la décroissance mais qui gère la compagnie off shore de la Deutsche Bank et lutte pour l’environnement mais prend l’avion tous les jours, laissez-moi rire », raille l’un de ses employés. De fait, son aisance à changer de casquette ne laisse pas indifférent. Le principal intéressé, lui, n’y voit aucune contradiction. « Au début, quand il parlait de comptabilité verte, on le prenait pour un fou, raconte Rajiv K. Sinha, avec qui il a cofondé l’Agence indienne de recherche environnementale. Désormais on l’écoute avec plus d’attention. » La communauté internationale attend, en effet, pour l’année prochaine, son éclairage sur la face cachée de la crise écologique actuelle : le coût de l’ appauvrissement de la biodiversité. « Il est infini », annonce déjà Pavan Sukhdev.
Photo : Grégoire Bernardi pour Terra Eco
2003 Est à l’intiative du Projet pour une comptabilité verte et crée l’Agence indienne de recherche environnementale
2008 Est nommé responsable de l’Initiative pour une économie verte par le Pnud et dirige l’enquête sur l’Economie des écosystèmes et de la biodiversité.
Ses gestes verts Soutient la Semaine verte chez Deutsche Bank, lui tente l’Année verte. Equipe sa maison pour qu’elle soit « énergétiquement plus efficace ».
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