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Le poulet donne l’aile au Cameroun, la cuisse à la France
jeudi, 30 mai 2013
/ Julien Duriez / Etudiant en histoire à Lille (Nord) puis à l’Institut pratique du journalisme de Paris, Julien a rencontré et interviewé, pour Terra eco, la moitié des poulets de Yaoundé, au Cameroun. Un temps pigiste pour la presse économique, il gère aujourd’hui la rubrique « Solidarité, économie sociale et engagement » du site Internet La-croix.com. Il s’intéresse à la microéconomie, aime faire de la photo, de la rando en Sologne, du vélo à Paris et cuisiner, le dimanche, du poulet (français) entier, parfumé au citron et citronnelle. |
Dans les années 1990, les volatiles européens congelés inondaient les marchés de Yaoundé. Jusqu’à ce que les producteurs locaux leur volent dans les plumes. Aujourd’hui interdits, ils parviennent encore parfois à se frayer un chemin.
La station balnéaire de Plouescat, dans le nord du Finistère, attire les touristes avec sa jolie halle du XVIe siècle, ses cultures d’artichauts, d’oignons, d’échalotes et bien sûr, sa plage de sable blanc. C’est aussi dans cette petite commune bretonne qu’est installée, depuis plus de trente ans, la société de négoce de viande et de produits de la mer Brittania. Dans un bâtiment en pierres de granit, là où la baie du Kernic s’ouvre sur l’océan, les employés de cette PME vendent et achètent des denrées – produits de la mer et viande, dont de la volaille – aux quatre coins de la terre. « Quand on parle de négociants de viande, on imagine aujourd’hui des traders avec plein d’écrans. Nous, nous sommes huit, avec vue sur la mer », s’amuse Léda Griot. La jeune femme est chargée de la vente de volailles, principalement à destination de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. Brittania se fournit dans toute l’Europe, et même jusqu’au Brésil, dont la production de volaille est en plein essor. Mais aucune cargaison n’est débarquée à Plouescat. La marchandise est directement envoyée à Dakar, Accra ou Abidjan, en quelques clics.
Comme Brittania, des dizaines d’entreprises de négoce françaises, néerlandaises ou espagnoles achètent, par tonnes, de la viande de poulet aux producteurs pour la transporter et la revendre en Afrique, du Sénégal au Ghana, en passant par la Côte d’Ivoire. En 2012, l’Union européenne a exporté ainsi plus d’un million de tonnes de poulet, soit 8 % de sa production.
« En Europe, on ne peut rien faire des bas morceaux, ça ne correspond pas à nos habitudes alimentaires », précise Léda Griot. La destruction par équarrissage coûterait un bras. Selon les cours, les producteurs choisissent donc « soit de vendre ces bas morceaux à des usines d’aliments pour animaux, soit de les exporter », explique Bénédicte Hermelin, directrice du Bénédicte Hermelin directrice du Groupe de recherche et d’échanges technologiques, une ONG qui lutte pour un développement solidaire. C’est ainsi que des piles de pattes ou d’ailes de poulets produits en Europe se retrouvent sur les marchés d’Afrique. « Les pattes et ce genre de morceaux, moi, je ne saute pas dessus », avoue Daniel Jaouen, producteur pour Doux, leader du secteur, à Plonéour-Lanvern (Finistère). Mais il paraît que les Africains aiment ça… »
Comme la plupart des éleveurs français, allemands ou italiens, l’aviculteur breton ne se charge pas de la vente de sa viande. Membre d’une filière intégrée, il se fait livrer poussins et aliments par Doux. Il lui rend ensuite des poulets – arrivés à terme à quarante-cinq jours – qui sont abattus et vendus par le géant de la volaille, dont les élevages intensifs renferment, en moyenne, 25 000 poulets et peuvent atteindre, dans les plus gros, 35 000 volatiles. « Les producteurs sont souvent montrés du doigt. Mais les consommateurs ne savent plus à quoi ressemble un poulet, s’agace pour sa part Didier Renoult, producteur de poulet Label rouge en Normandie, à deux pas du Mont-Saint-Michel. Plus personne n’achète de poulet entier pour ensuite lever les filets, couper et cuisiner les cuisses. On veut du déjà préparé, voire du déjà cuisiné. »
A l’approche notamment des fêtes de Noël ou de Pâques, les familles qui désiraient préparer des plats de viande se sont mis au poulet congelé. Les femmes qui tiennent les « tournedos », ces petits restaurants qui proposent des plats uniques à chaque coin de rue de la capitale, ont commencé à se fournir dès les années 1990 en viande d’importation. Ses avantages ? Elle est vendue plumée et prête à l’emploi, alors que les poulets locaux sont proposés vivants. De 1994 à 2003, l’importation de volatiles congelés est ainsi passé de 60 tonnes à 22 154 tonnes, rien que pour le Cameroun ! Hervé Teguia, étudiant dans les années 1990, se souvient de l’arrivée de ce poulet en Afrique, qui mettait en danger la filière locale. « Il n’avait ni la couleur ni le goût du poulet camerounais, et pourtant je me suis jeté dessus. C’était une aubaine », sourit, casquette vissée sur la tête, le trentenaire, qui défend aujourd’hui les intérêts des producteurs agricoles camerounais. Il est employé par l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic) et rend, ce jour-là, visite à Fridolin Onada, qui élève des volailles dans le village de Nyom, à moins d’une heure de route de Yaoundé. Les trois poulaillers de l’aviculteur, formés de claies de bambou posées sur un sol de béton, ont une capacité totale de 1 000 à 1 500 animaux.
A partir de 1997, les bâtiments entourés de bananiers et de champs de manioc sont restés vides, de longues périodes durant. « Le poulet congelé a inondé le marché », se souvient Fridolin Onada, qui s’est lancé dans l’élevage dans les années 1980. Ses bêtes, amenées vivantes à Mvog-Ada, le marché de gros de Yaoundé, ne se vendent alors plus. En 2004, il décide de réagir. Il adhère à l’Acdic, qui vient de voir le jour. Très active, l’association tente de sensibiliser la population et les autorités camerounaises. Et pratique des tests à partir des morceaux de poulets congelés vendus sur les marchés de Yaoundé. La viande importée se révèle être porteuse de nombreuses bactéries. La faute à une chaîne du froid mal respectée entre l’arrivée des conteneurs sur le port de Douala – la capitale économique du pays – et la vente sur les marchés, parfois à même le sol.
Fait unique dans toute la sous-région, le Cameroun interdit alors toute importation de viande étrangère. Pris au dépourvu, Brittania déroute alors vers le Ghana, en urgence, des bateaux entiers, chargés de conteneurs de poulets, en route pour Douala. « On a eu une baisse d’activité pendant six mois », se souvient Léda Griot. Mais rapidement, le négociant breton s’est concentré sur d’autres pays de la région et, pour lui, les affaires ont repris.
Pour vérifier que l’interdiction est bien respectée au Cameroun, Hervé Teguia mène, deux fois par mois, des contrôles sur les principaux marchés de Yaoundé. Il note parfois la présence de poulet congelé, importé illégalement via le Nigeria ou la Guinée équatoriale, qu’il signale aux autorités. En mars 2013, à l’approche des fêtes de Pâques, le ministère du Commerce a ainsi détruit une tonne de poulet d’importation. Mais le fait reste rare. Sur le marché des grossistes de Mvog-Ada, à Yaoundé, les cages de poulets locaux vendus vivants, puis abattus et plumés sur place – un gage de fraîcheur –, ont remplacé les congélateurs et le « carrefour des congelés », dans lequel les cartons de poulet d’importation étaient débarqués il y a quelques années encore.
Depuis l’interdiction, plusieurs autres pays africains ont suivi le mouvement. En 2005, c’est le Sénégal qui a cessé ses importations au moment où la grippe aviaire frappait. La Côte d’Ivoire a, quant à elle, élevé les taxes pour les produits venus de l’étranger. Le Nigeria, le pays le plus peuplé de la région avec 170 millions d’habitants, a lui aussi restreint le commerce des poulets congelés.
A Nyom, le poulet nourrit ses paysans
En 2006, avec l’interdiction de l’importation de poulet, Fridolin Onada a fédéré la dizaine d’éleveurs de son village. Ensemble, les paysans ont construit de nouveaux poulaillers et acquis un broyeur-mélangeur pour produire eux-mêmes la nourriture à partir de leurs cultures de maïs. « Nos poulets sont vendus au bout de quarante-cinq jours. On obtient en un mois et demi un revenu. L’élevage peut à nouveau nourrir son homme », résume le producteur, installé sur une chaise branlante sur le pas de sa porte. Il estime qu’un élevage de 500 poulets rapporte jusqu’à 10 000 francs CFA (15,25 euros), par mois et par éleveur, l’équivalent du salaire d’un professeur en début de carrière. Les éleveurs espèrent pouvoir bientôt acheter un véhicule pour emmener leurs animaux jusqu’au marché de Mvog-Ada, à Yaoundé. —
La campagne « Exportations de poulets : l’Europe plume l’Afrique »