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Seuil historique de CO2 franchi : que risque-t-on ?
mardi, 14 mai 2013 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Ce jeudi, la concentration en CO2 dans l’atmosphère a passé le seuil historique des 400 ppm. Chiffre symbolique ou conséquences réelles ? Deux scientifiques nous expliquent.

Le chiffre est rond, et franchir son seuil sonne comme un couperet. Jeudi 9 mai, la concentration en dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère mesurée sur les flancs du volcan Mauna Loa (Hawaii) a passé le seuil de 400 ppm (parties par million).

- Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ce chiffre correspond à la concentration de CO2 dans l’atmosphère. En clair, cela veut dire que l’on trouve en moyenne 400 molécules de CO2 pour chaque million de molécules de tous les constituants présents dans l’air.

- Est-ce une valeur universelle ?

Non. Cette valeur varie selon l’endroit de mesure et la saison. Elle a été enregistrée à Hawaï. Or, « il y a un décalage entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud. On atteindra une valeur globale de 400 ppm un peu plus tard », précise Hervé Le Treut, climatologue et directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace. « On a un cycle saisonnier des mesures de CO2 qui est lié au cycle de la végétation. Les mesures sont plus importantes au printemps et baissent à nouveau en été », rappelle Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et directrice de recherches au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. A l’échelle d’une année, des pics de CO2 peuvent être mesurés en mai et à l’automne. A ces moments-là, la végétation rejette plus de CO2 qu’elle n’en absorbe par le phénomène de la photosynthèse. Inversement, après le pic de mai, le CO2 décroît, les échanges liés à la photosynthèse augmentant alors que les plantes entament leur croissance.

- Pourquoi c’est important ?

400 c’est d’abord et simplement un chiffre. « C’est symbolique, précise Hervé Le Treut. Le fait que le CO2 soit à 399 ou à 400 ppm ne change pas grand chose pour le climat. Mais c’est une marque que l’on attendait depuis longtemps. »

Reste que la teneur est très élevée dans l’histoire du climat. En mesurant l’air piégé dans la glace de l’Arctique, on peut remonter 800 000 ans en arrière. « Ces mesures montrent une teneur en CO2 qui varie entre 200 et 290 ppm. C’est une gamme de variation normale dont on est largement sortis depuis », souligne Valérie Masson-Delmotte. Pour remonter plus loin dans le temps, d’autres techniques existent. Moins précises, elles consistent à mesurer les teneurs en CO2 en examinant les sédiments marins, marqueurs du PH des océans, la formation de sels dans certains lacs ou la densité des stomates (de petits orifices qui s’ouvrent et se ferment à la surface des feuilles pour capter le CO2 nécessaire à la photosynthèse) des feuilles fossiles. Moins denses quand le CO2 fut pléthore, ils éclaircissent leur maillage dans le cas inverse. Ces indicateurs sont « divers, pas toujours cohérents, moins précis », souligne Valérie Masson-Delmotte. Ils donnent pourtant une idée globale de valeur de la concentration de CO2 dans l’atmosphère il y a environ 3 millions d’années durant l’ère du Pliocène : entre 350 et 450 ppm, soit 400 ppm en moyenne. Une teneur équivalente à celle enregistrée ce jeudi à Hawaii.

- Ça change quoi ?

A l’époque du Pliocène, « le climat était plus chaud qu’aujourd’hui. Le niveau des mers était plus élevé d’une dizaine de mètres, et la calotte glaciaire réduite au Groenland et en Antarctique de l’Ouest. Cela nous montre ce qu’est un climat à l’équilibre avec 400 ppm », rappelle la paléoclimatologue. Aujourd’hui nous n’en sommes pas encore là. « La situation est différente, poursuit la scientifique. Parce que nous avons une injection brutale de CO2 dans l’atmosphère, le climat n’est pas à l’équilibre. Nous sommes dans une phase où il s’ajuste. » Il faudra en effet du temps au climat, doué d’inertie, pour digérer ces nouvelles concentrations de CO2. « C’est à l’échelle de quelques décennies que l’on pourra voir des changements d’ampleur supérieures à la variabilité naturelle », souligne Hervé Le Treut.

Un scénario climatique digne de l’ère du Pliocène nous tend-t-il les bras ? Difficile à dire. « Les paramètres astronomiques de l’époque étaient différents de ceux d’aujourd’hui, tempère Hervé Le Treut. Aujourd’hui, on est plus près du Soleil en été dans l’hémisphère nord, l’axe de rotation de la Terre est moins elliptique, presque circulaire. Il n’y pas de raison de comparer le climat d’aujourd’hui avec celui du passé. On sait que le CO2 est un modulateur du climat mais il est très difficile de faire un parallèle complet. » « Ce qui est sûr c’est qu’il va y avoir une réponse inéluctable du climat, prévient Valérie Masson-Delmotte. On ne peut pas aujourd’hui revenir en arrière. Continuer à émettre chaque année davantage de CO2 impose certains scénarios. »