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Bébés végétariens : y a-t-il un risque pour la santé ?
jeudi, 18 avril 2013 / Elsa Ponchon /

Journaliste à Terra eco. Folle des bébés chiens, droguée au chocolat et mordue de nature.

De plus en plus de Français se détournent de la viande pour adopter le régime végétarien. Parmi eux, des parents qui convertissent toute la famille. Mais est-ce dangereux pour les plus petits ?

De grands yeux bleus et pas beaucoup de cheveux sur le caillou. Hugo, 1 an, a une belle bouille de bébé. Sa maman, Sandrine Costantino, l’allaite depuis sa naissance et diversifie son alimentation en introduisant au fur et à mesure de nouveaux aliments, comme pour tous les bébés. A une exception près (et de taille) : les aliments d’origine animale ne passent pas la bouche du bambin.

Pas de petits pots poulet, veau, bœuf ou dinde pour Hugo. Ses parents sont végétaliens. Ils ne consomment ni viandes, ni poissons, ni œufs, ni produits laitiers. Ces aliments sont remplacés par des purées de tofu ou de légumineuses (soja, lentilles, fèves, haricots, pois) auxquels ils ajoutent des céréales (blé, riz, boulgour, flocons d’avoine, pâtes, muesli), des légumes, des fruits, des oléagineux (amande, noix, cajou) sous forme d’huile ou de beurre, du gluten avec des biscottes. La même alimentation que pour papa-maman, tout en respectant ses besoins de bébé.

Quant à Angélique Ponsonnet, elle est végétarienne et maman de deux petites filles de 2 et 6 ans. Dans la famille, seuls les œufs sont autorisés, mais pas les produits laitiers, qu’elle remplace par des laits végétaux de riz, adaptés à l’âge de ses enfants.

Risques de carences et d’allergies ?

Végétarisme et végétalisme, des régimes alimentaires qui ne sont pas au goût des professionnels de santé. En France, diététiciens, médecins généralistes et pédiatres n’y sont, dans l’ensemble, pas favorables, voire très opposés. Surtout au végétalisme chez l’enfant, jugé très compliqué à mettre en œuvre. L’opposition est moins forte pour le régime ovo-lacto-végétarien qui exclut viandes, poissons et volailles mais autorise la consommation d’œufs et de produits laitiers. Mais il n’est pas recommandé chez l’enfant de moins de 5 ans.

Philippe Grandsenne, pédiatre et auteur du livre Bébé dis-moi qui tu es (Marabout, 1999) estime que ces régimes mettent « en danger la vie de l’enfant, en particulier le végétalisme, qui est à exclure ». « A cet âge, les enfants sont en pleine construction. Pour leur squelette, leurs muscles, ils ont besoin d’aliments d’origine animale. Il n’en faut pas forcément beaucoup, mais rien ne les remplacent. Ils peuvent être compensés par des aliments d’origine végétale, mais partiellement. Ce n’est pas suffisant », explique le pédiatre.

Selon la plupart des pédiatres et diététiciens, les risques de carences sont multiples : en acides gras, acides aminés, protéines, zinc, fer, vitamines D et B12. Ils peuvent entraîner des retards de croissance, physique ou intellectuel, voire dans certains cas, la mort. Un constat qui n’est pas sans rappeler le décès en 2008 de Louise, 11 mois, dont les parents étaient végétaliens. La fillette était exclusivement allaitée par sa mère. L’autopsie a révélé des carences, notamment en vitamines B12 et l’absence de soins médicaux traditionnels.

Des laits maternisés adaptés

Les médecins mettent également en garde contre les laits végétaux utilisés dans l’alimentation des bébés végétaliens. Ludovic Ringot, cadre-diététicien aux hôpitaux de Paris et co-auteur du livre Petit végétarien gourmand (Alternatives, 2013) rappelle que le lait maternel est l’aliment de référence adapté aux besoins des nourrissons, et qu’en dehors de l’allaitement, seules les préparations pour nourrissons et préparations de suite (à base de protéines animales ou végétales) peuvent couvrir les besoins de l’enfant de moins de 1 an. « Surtout ne pas utiliser de boissons présentées comme des laits (boissons végétales de type soja, amandes, riz, ndlr) et vendues dans le commerce pour les enfants. Celles-ci ne sont absolument pas adaptées. »

En ce qui concerne le soja, le diététicien suit l’avis de l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) : « Il n’est pas recommandé d’en donner aux enfants de moins de 3 ans, à cause de la présence de phyto-oestrogènes, des analogues aux hormones féminines qui peuvent jouer le rôle des perturbateurs endocriniens. »

Philippe Grandsenne insiste sur le caractère allergisant de ces laits végétaux, issus notamment des fruits à coque. « Lorsqu’une mère végétalienne allaite et consomme ces laits végétaux, elle peut transmettre des allergènes puissants à son enfant, indique-t-il. S’il n’est pas allaité, le meilleur lait reste celui de vache, le moins allergisant de tous et le plus adapté aux nourrissons. »

« Etre végé ne s’improvise pas »

A l’inverse, pour les associations végétariennes, ces régimes sont tout à fait applicables aux bébés et aux jeunes enfants. Elles s’appuient notamment sur un rapport de l’Association américaine de diététique (à lire en français sur le site de l’association Mangez végétarien). Celui-ci indique que « les alimentations végétariennes (et végétaliennes) bien conçues sont bonnes pour la santé, adéquates sur le plan nutritionnel et peuvent être bénéfiques pour la prévention et le traitement de certaines maladies. Les alimentations végétariennes bien conçues sont appropriées à tous les âges de la vie, y compris pendant la grossesse, l’allaitement, la petite enfance, l’enfance et l’adolescence, ainsi que pour les sportifs ».

Avoir un bébé végétarien – ou végétalien – oui, à condition de respecter les recommandations. « Etre végé ne s’improvise pas. Des erreurs peuvent être commises si on ne fait pas attention. Or, il y a des règles à suivre pour être en bonne santé, comme chez les omnivores », précise Olivier Rafin, président de Mangez végétarien. Afin de pallier les besoins en vitamines B12, toute la famille végétarienne doit prendre un supplément (avant, pendant et après la grossesse). Comme pour les omnivores, il faut veiller à manger varié, équilibré, des produits frais de préférence. Cuisiner soi-même, c’est encore mieux. Angélique Ponsonnet l’a bien compris et donne même des cours de cuisine végétarienne pour toute la famille. « Dans ma cuisine, j’ajoute de la spiruline et de la levure de bière afin de couvrir nos besoins en acides aminés. Et mon médecin est impressionné : mes filles sont en parfaite santé. » Même chose pour le petit Hugo. « Il prend du poids normalement et il est même plutôt bien dodu », assure sa maman.

Méconnaissance des régimes végétariens en France

Les associations végétariennes, dont l’AVF (Association végétarienne de France), dénoncent la méconnaissance des régimes végétariens en France chez les professionnels de santé. Celle-ci conduit souvent à la peur du médecin. « Ce n’est pas toujours facile, confie Sandrine Costantino. Je l’ai dit aux médecins qui nous suivent depuis longtemps. Mais si Hugo a un gros rhume et que je dois appeler un médecin en urgence, je ne précise pas qu’il est végétalien afin qu’on ne cherche pas de cause dans l’alimentation à un simple rhume. » Par crainte d’être jugés ou accusés de maltraitance, certains parents renoncent à évoquer leur régime alimentaire avec leur médecin. Or, pour Ludovic Ringot, « c’est indispensable car un enfant a des besoins spécifiques, il peut être parfois difficile question aliments et peut très vite prendre des habitudes alimentaires. S’il s’agit d’un couple végétalien depuis longtemps, et qu’après analyses, ils n’ont aucune carence alors on peut penser que les bonnes habitudes alimentaires seront transmises à l’enfant. A l’inverse, si ce sont de jeunes convertis, on peut craindre qu’ils n’aient pas toutes les informations nécessaires pour que l’enfant, et même eux, soient en bonne santé. Dans les deux cas, nous sommes là pour les guider, non pour les juger. »

- A lire aussi sur le site de l’AVF des fiches explicatives sur les régimes végés pour les enfants.