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Austérité : l’erreur de calcul qui fait changer de route
jeudi, 18 avril 2013
/ Thibaut Schepman / Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir. |
Une erreur a été décelée dans une étude américaine de référence justifiant l’austérité économique. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?
L’« austérité », le « sérieux budgétaire », le « tour de vis »... Chacun son langage pour résumer une idée fixe rabâchée depuis 2009 : il faut réduire les dépenses pour limiter la dette et ainsi, à terme, relancer la croissance.
Cette idée fixe a, entre autres, été légitimée par les résultats d’une étude menée en 2009 par deux économistes américains, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff. Celle-ci concluait que la croissance économique d’un pays se réduit forcément dès lors que la dette de l’Etat dépasse 90% du PIB. L’idée fixe était démontrée : trop de dette tue la croissance, la priorité des gouvernants doit donc être la réduction de la dette, et ce à tout prix. L’étude a été citée de très nombreuses fois pour justifier des mesures d’austérité par des dirigeants du monde entier, comme le rappelle ce florilège publié sur le site d’information Quartz. En France, elle est notamment mentionnée dans le projet de loi de Finances de 2010. Problème, cette étude comporte plusieurs erreurs, notamment dues à une mauvaise utilisation du logiciel Excel, ont montré ce mercredi trois chercheurs de l’université du Massachussetts (Etats-Unis).
On peut aussi conclure que la politique économique est une chose trop sérieuse pour être régie par des seuils fixés par des chercheurs. C’est ce qu’estime Evariste Lefeuvre, chef économiste chez Natixis. Le Prix Nobel d’économie Paul Krugman en tire la même conclusion. Mais estime que ce sont ceux qui ont cité cette étude à tout bout de champ qui sont les fautifs dans cette affaire. « Il y a quelques mois, le Washington Post s’en prenait aux opposants de l’austérité en arguant que “les économistes estiment que le seuil de 90% est une menace pour la croissance économique” », se souvient Paul Krugman qui reproche au quotidien de citer : « les économistes » et non pas « des économistes » ou encore moins « des économistes qui ont été critiqués par d’autres économistes tout aussi sérieux ». Le Prix nobel d’économie considère que cela revient à « trouver quelqu’un qui dit ce que l’on a envie d’entendre et à faire semblant qu’il n’y a personne d’autre à écouter ». Les auteurs de la contre-étude vont encore plus loin, et accusent, eux, les auteurs de la bourde et ceux qui ont cité cette étude d’avoir procédé « à un tri des données » en faveur de l’austérité.
Enfin, cette erreur nous invite à rappeler qu’en économie aussi on a le droit de faire un pas de côté et de s’intéresser à ceux qui pensent autrement. On peut constater, comme le fait le journaliste Matthieu Auzanneau sur son blog, que la croissance économique, le niveau de dette publique et la facture énergétique des pays évoluent de conserve en Europe. Ce qui pourrait confirmer que notre modèle actuel de croissance n’est possible qu’à condition d’emprunter à gogo et de consommer toujours plus d’énergie selon le journaliste. L’ingénieur et consultant spécialiste de l’énergie Jean-Marc Jancovici estime de son côté que la crise énergétique actuelle nous contraint à vivre des récessions économiques régulières. Et qu’il faudrait donc d’abord réduire notre dépendance aux énergies fossiles pour réduire notre dette. On peut encore écouter l’économiste Jean Gadrey, qui estime lui que la croissance économique n’est pas forcément la solution mais peut-être le problème. Ou encore Alain Grandjean, le cofondateur du cabinet Carbone 4, qui propose d’investir dans la sobriété plutôt que d’imposer l’austérité. Aucun d’entre eux n’affirme détenir LA solution miracle. L’avantage, c’est que leurs idées sont à l’abri d’une erreur de manipulation d’Excel.