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Europa City, la folie des grandeurs
mercredi, 3 avril 2013 / Justine Boulo /

Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier.

Entre ville artificielle et centre commercial géant, le projet d’Auchan vise à transformer une banlieue parisienne en première destination touristique d’Europe. Mais les opposants ne croient pas aux promesses d’emplois de ce projet jugé démesuré.

Skier à Paris. Hésiter entre l’aquarium, le cirque ou le parc d’attraction. Choisir parmi 2 700 chambres d’hôtel. Errer dans 230 000 mètres carrés de galeries commerciales. Bienvenue à Europa City. Nous sommes en 2020.

Intégré en 2009 au Grand Paris, le projet de ce temple du « temps libre » étalé sur 80 hectares est le nouveau bébé d’Immochan, filiale immobilière du groupe Auchan. Pour l’heure, les promoteurs n’en sont qu’à la phase de concertation préalable. Mais ils vendent déjà du rêve, en tablant sur 30 millions de visiteurs par an, faisant d’Europa City la première destination touristique européenne. Une belle fréquentation qui fait espérer la création de 20 000 emplois.

Le Val d’Oise, première destination touristique d’Europe

Autant de chiffres qui font rêver sur place. Sur place ? C’est la commune de Gonesse, dans le Val-d’Oise. Son maire, Jean-Pierre Blazy (PS) défend le projet bec et ongles. Et ne manque pas d’ironiser : « On se trouve entre Clichy-sous-Bois – émeutes de 2005 – et Villiers-le-Bel – émeutes de 2007. » Joli tableau. Auquel on ajoute un chômage s’élevant à 13,1% en 2009. Chez la voisine, à Aulnay-sous-Bois, l’usine PSA devrait fermer en 2014, entraînant la disparition de 2 800 emplois. L’élu de Gonesse tonne : « On ne peut pas rester uniquement un coin de banlieue répulsif. »

Europa City selon le projet du cabinet d’architecture BIG.

Forcément, passer du statut de sanctuaire périphérique à première destination touristique, ça donne envie. 30 millions de visiteurs pas an, ça donne le tournis. Mais pour Jacqueline Lorthiois, « ce chiffre est totalement absurde ». Cette urbaniste et socio-économiste a travaillé depuis 1975 sur les questions d’emploi et d’activités économiques autour de Roissy. Elle tranche : « Le parc d’attraction Disneyland (à Marne-la-Vallée, ndlr) est la première destination touristique d’Europe, avec 15 millions de personnes par an. Le triangle d’or, entre le boulevard Haussmann et les Champs-Elysées, c’est 12 millions de touristes chaque année. Sachant qu’en moyenne, un touriste reste trois jours à Paris, pourquoi irait-il s’enterrer à Gonesse ? Quand les voyageurs arrivent à Roissy, la première chose qu’ils veulent c’est filer à Paris et non rester aux pieds des pistes. » En somme, site touristique et aéroport ne serait pas compatible et Europa City serait optimiste d’espérer autant de touristes.

Le projet prévoit des pistes de skis (cabinet Valode & Pistre).

Quant aux 20 000 emplois, les données sont à revoir à la baisse. Christophe Dalstein, directeur d’Europa City, annonçait au lancement du projet que « le centre devrait générer 11 500 emplois directs, sans compter les 12 500 personnes qui travailleront sur le chantier pendant quatre ans ». Là encore, l’urbaniste tique. « C’est surévalué, estime Jacqueline Lorthiois. La construction de Disneyland, qui a duré trois ans et dont le site s’étend sur 2 230 hectares, a nécessité 10 000 embauches. Europa City, c’est 80 hectares. Et on dit qu’il faudrait la même main d’œuvre ? »

Des centres commerciaux déserts

De leur côté, certains élus des communes alentours craignent pour les commerces de centre-ville. Europa City risquerait de pomper la clientèle des boutiques de proximité. Alain Boulanger, conseiller municipal à Aulnay-sous-Bois redoute qu’avec de tels projets, « on vide les centre-ville, on crée des cités-dortoirs. On renforce le côté banlieue qui n’est déjà pas très attirant ». Comme si les habitants de Gonesse, Villepinte ou Sarcelles allaient soudainement délaisser leurs magasins pour l’immense parc futuriste. Rien n’est moins sûr. Les résidents ne semblent pas la cible du groupe Auchan. Europa City vise le touriste, et même le touriste de luxe au vu des infrastructures prévues : boutiques haut de gamme, hôtels trois étoiles au minimum – cinq pour la plupart –, pistes de ski... Autant d’activités qui n’ont pas la fonction du « commerce de proximité ». « Cela reste à prouver, nuance Alain Boulanger. Immochan a affirmé qu’a priori il n’y aurait pas de boutique alimentaire. Mais on n’a pas d’informations. Le promoteur ne communique pas et aucune étude d’impact n’a encore été réalisée. »

Toujours est-il que Jacqueline Lorthiois y voit « un projet surdimensionné » qui pèse 1,7 milliard d’euros. « On continue de tartiner la banlieue des centres commerciaux, alors que c’est illogique. » La périphérie parisienne a en effet vu fleurir bon nombre de conglomérats de grande surface. O’Parinor à Aulnay-sous-Bois, Plain Air au Blanc Mesnil, l’Aéroville à Roissy qui ouvrira ses portes en 2013. Autant d’enseignes qui souffrent de désertion. La Fnac a voulu fermer son magasin au Millénaire d’Aubervilliers, faute de clientèle, mais la justice l’a condamnée à rouvrir. « Avec Europa City, on risque de voir le même scénario. »


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