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Scénario Négawatt : la transition pourrait créer plusieurs centaines de milliers d’emplois
vendredi, 29 mars 2013 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

L’association a sorti sa calculette et assure que la transition énergétique peut rapporter des euros et des emplois. Son président, Thierry Salomon, nous explique comment.

Sortir du nucléaire sans revenir à la bougie, c’est possible. Voilà ce que clamait l’association Négawatt en septembre 2012, en présentant son « scénario », véritable feuille de route pour une transition énergétique complète d’ici 2050. On vous rappelle ses grandes lignes :

- Produire et consommer l’énergie de manière plus efficace. Notamment en finir avec les passoires énergétiques grâce à un vaste plan de rénovation des bâtiments, ou limiter les pertes d’énergie pendant la production grâce notamment à la cogénération.

- Plus de sobriété : recycler davantage, réduire les déplacements motorisés individuels en ville... Le tout grâce à des normes et à une fiscalité attractive.

- La sobriété et l’efficacité pourraient réduire la demande en énergie primaire de 65% à l’horizon 2050. Pour le reste, la France doit investir dans les énergies renouvelables. Du coup, elle peut mettre ses centrales nucléaire à la retraite.

Au moment de la sortie de ce rapport, en pleine campagne électorale, le débat sur l’atome faisait rage et les chiffres les plus farfelus polluaient le débat. Henri Proglio n’hésitait pas à calculer (de tête ?) que la sortie du nucléaire risquait de faire perdre un million d’emplois à la France, tandis qu’un rapport fumeux chiffrait son coût à 750 milliards d’euros. Les experts de Négawatt, eux, n’avaient dégainé leur calculette ni sur le coût ni sur l’impact sur l’emploi de leur scénario. C’est chose faite aujourd’hui, grâce aux travaux de Philippe Quirion, économiste au Cired (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement) dans une étude publiée ce vendredi. Selon ses calculs, la mise en œuvre du scénario Négawatt aboutit à un effet positif sur l’emploi qui se situe dans une fourchette de 220 000 à 330 000 postes nets (en tenant compte des emplois détruits) en 2020, et de 570 000 à 820 000 postes nets en 2030. Les économies réalisées – en consommant moins et en arrêtant d’acheter des hydrocarbures – dépasseraient même largement les investissements nécessaires, si bien que la mise en place de ce scénario rapporterait 9 milliards d’euros par an en 2020 et même 54 milliards d’euros par an en 2030 ! Explications avec Thierry Salomon, président de Négawatt.

Terra eco : Quels sont les secteurs économiques dans lesquels la transition peut créer des emplois ?

Thierry Salomon : Si l’on regarde les emplois directs et indirects (entreprises sous-traitantes, ndlr) de chaque secteur, on se rend compte que la réalisation du scénario Négawatt peut entraîner une hausse significative dans le secteur de la rénovation thermique des bâtiments, des énergies renouvelables ou des transports en commun. En revanche, il y aura une baisse dans le secteur de la construction automobile, du nucléaire et de la construction neuve. D’après l’étude du Cired, les créations sont à long terme légèrement supérieures aux destructions, notamment parce que les secteurs de la transition sont très intensifs en emplois.

D’où vient alors la forte augmentation du nombre d’emplois que vous annoncez ?

Nous nous sommes penchés sur les emplois induits par notre scénario. L’un des principaux impacts de la transition, c’est de réduire la facture de la France en gaz et en pétrole, qui a grimpé l’année dernière à plus de 60 milliards d’euros. Nous estimons, comme de très nombreux économistes, que ces dépenses évitées seront réinvesties dans l’économie. Elles vont induire une regain d’activité et donc un nombre important d’emplois.

La France dispose-t-elle d’une main-d’œuvre adaptée à l’essor des secteurs de la transition ?

Pas du tout. Il faut absolument travailler sur la formation à de nouveaux métiers. C’est particulièrement vrai dans le secteur de la rénovation, où il faudra aller beaucoup plus loin que la pose d’isolant et par exemple repenser les aménagements intérieurs. Nos artisans ne sont pas du tout habitués à cela, il faut une mutation.

Vous estimez que votre scénario rapporte plus qu’il ne coûte à l’horizon 2020. Mais comment financer les investissements nécessaires pour engager ce processus ?

Il ne faut pas forcément engager des sommes énormes. Il y a de très nombreuses mesures dont la réalisation ne nécessite pas des coûts importants et qui peuvent rapporter beaucoup. Si l’on baisse la vitesse autorisée sur les routes, il faudra seulement payer de nouveaux panneaux et on peut attendre plusieurs milliards d’économie. L’achat de programmateur pour gérer la température d’un bâtiment a un coût très faible et une rentabilité immédiate. Par ailleurs, les investissements coûteux sont compensés par des dépenses évitées. On peut financer le renouvelable si l’on ne dépense pas plus pour mettre au norme nos centrales et prolonger encore leur durée de vie.

Le gouvernement a lancé la semaine dernière son plan Logement. Est-il à la hauteur selon vous ?

Non. On a ouvert l’armoire à pharmacie, et on a commencé des soins d’urgence. Mais on est très loin de ce qu’il faut faire. Dans ce plan, on ne trouve aucune référence à l’idée d’obligation de rénovation, qui est pourtant une mesure qui fait de plus en plus consensus.

Vous participez également au débat sur la transition énergétique. Etes-vous optimiste sur ses conclusions ?

On a un problème entre les mandats politiques qui sont très courts et la pensée de long terme que demandent la transition. Il faut s’engager dans des processus qui sont bénéfiques à dix ou vingt ans alors que les dirigeants cherchent souvent une rentabilité immédiate. Pour y arriver, il faut qu’une vision de long terme sur la transition soit partagée à très large échelle, qu’il y ait un consensus politique. Le débat sera un succès s’il nous fait avancer vers ce consensus. Nous sommes à mi-parcours, donc je reste optimiste, mais je trouve toutefois que l’on part un peu dans tous les sens, en se focalisant sur le besoin de trouver des mesures au lieu de commencer par s’interroger sur les besoins pour ensuite trouver des moyens d’y répondre.