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Une chaussure en cuir sur sept serait liée à la déforestation
mardi, 12 mars 2013 / Novethic /

Le média expert du développement durable

Selon un rapport de l’association Envol Vert, le cuir ne pollue pas seulement l’atmosphère via ses tanneries mais joue un rôle dans la déforestation. Car en Amérique du Sud, l’élevage bovin mord sur l’Amazonie.

Sur la sellette, le cuir ? Lors du sommet de la Terre Rio+20, en juin 2012, le président de la marque Puma (groupe PPR), Jochen Zeitz s’était prononcé pour un abandon progressif du cuir chez Puma, du fait de son impact négatif sur l’environnement. Si cette annonce a ravi les défenseurs des animaux, elle n’a pas fait l’unanimité, y compris au sein des défenseurs de l’environnement, qui soulignent que les alternatives au cuir sont, actuellement, basées sur le pétrole. Ainsi pour Frédéric Amiel, chargé de la campagne Forêts à Greenpeace, le cuir en soi n’est pas « un produit anti-écologique » et sauf à vouloir interdire toute alimentation carnée, il faut plutôt voir cette matière comme un sous-produit, à valoriser intelligemment, de l’industrie bovine. Encore faudrait-il qu’il s’intègre dans des filières responsables, ce qui est loin d’être le cas. Et pour cause : sur le cuir aussi, la traçabilité fait défaut.

C’est ce que démontre en partie le rapport de l’association Envol Vert, publié en janvier, « Le cuir tanne la forêt ». Spécialisée sur la sauvegarde de la forêt, cette jeune association s’est intéressée aux liens entre la fabrication du cuir et la déforestation, un lien que les entreprises utilisatrices de cuir ont plutôt négligé jusqu’à présent, préférant travailler, au niveau de leur RSE, sur la réduction des pollutions et l’impact sanitaire des tanneries de cuir. Et l’association de cibler l’industrie de la chaussure, qui consomme plus de la moitié (53%) du cuir mondial.

Les bovins grignotent 65% de la forêt en Amazonie

Derrière la déforestation, il n’y a pas que les agrocarburants, le soja ou l’industrie du bois : en Amérique du Sud, l’élevage bovin serait la cause de 65% du déboisement, selon Envol Vert. Principale raison ? La forte demande en viande carnée, qui pousse les élevages à mordre sur l’Amazonie. Au Brésil, premier producteur de viande et de cuir mondial, la déforestation a tout de même connu un frein spectaculaire depuis les mesures prises par l’ancien président Lula : ainsi, environ 4600 km2 ont été déboisés en Amazonie entre août 2011 et juillet 2012, soit 27% de moins sur un an, d’après le gouvernement. Mais le chiffre reste excessif aux yeux des ONG, selon lesquelles le déboisement frappe aussi la forêt du Chaco (située entre l’Argentine et la Bolivie, le Brésil et le Paraguay), le cerrado brésilien (une savane arborée) ainsi que la Colombie.

Une chaussure en cuir sur 7 serait « à risque de déforestation »

Or le cuir n’est pas innocent dans ce processus, puisqu’il il représenterait entre 13% et 30% de la valeur apportée par l’élevage bovin, selon Envol Vert. Et les chaussures ? En France « une chaussure en cuir sur 7 est à risque de déforestation », affirme cette association. Après avoir lancé une campagne activiste ciblée sur les fabricants de chaussure, l’association vient d’obtenir l’engagement du groupe Eram (1,6 milliards d’euros de chiffre d’affaire) d’« éliminer tout risque d’utiliser des cuirs provenant d’élevages liés à la déforestation amazonienne ».

Réagissant à cette mise en cause, le président de la Fédération Française de la chaussure Jean-Pierre Renaudin s’est déclaré prêt à travailler sur la traçabilité, mais il conteste le poids du cuir dans l’industrie bovine. « Sur une carcasse seule, le cuir peut peut-être atteindre 13 à 30% mais c’est sans prendre en compte la valeur économique pendant la vie de l’animal ! Si on prend en compte la vente du lait, le cuir ne représente 4 à 5%, en valeur. » Pour Jean-Pierre Renaudin, ce faible poids explique le fait que l’industrie du cuir ait jusqu’à présent mis la priorité sur la réduction de la pollution dans les tanneries.

Les marques s’engagent

Cette priorité s’est traduite à partir de 2005, par la création du Leather Working group (LWG), principale initiative collective du secteur. Regroupant 50 grandes marques utilisatrices (vêtements, chaussures et luxe) et tout juste rejoint par Eram, le LWG a développé des protocoles d’audit pour les tanneries. Sur cette base, 140 tanneries dans une vingtaine de pays ont pour l’instant été auditées (dont celles du géant de la viande brésilien JVS), mais sans garantie de traçabilité depuis la ferme. Depuis juillet 2011 et à la demande des ONG, le LWG a ajouté des clauses spécifiques sur les élevages « à risque de déforestation » du Brésil.

Pour autant, le cadre du LWG est loin d’être généralisé, puisqu’en Italie (deuxième producteur de cuir au monde), 5 tanneries seulement sont auditées suivant ce protocole, sur 149 tanneries en activité selon Euroleather. D’après le LWG, 10% de la production mondiale de cuir serait auditée. En France, l’industrie de la chaussure sait par exemple si le cuir vient d’Italie, mais « il n’y a pas de traçabilité du cuir entre l’abattage et la tannerie », reconnaît le président de la fédération de la chaussure, Jean-Pierre Renaudin.

Cette opacité est aussi présente dans le secteur du luxe, selon Greenpeace. Sur 15 entreprises contactées depuis novembre 2012 par l’ONG, sept ont pour l’instant refusé de répondre aux questions sur leur approvisionnement en cuir. Pourtant, elles ont plus que les autres les moyens d’acheter du cuir certifié : c’est d’ailleurs ce que vient de faire Gucci, à travers une offre de sacs à main en cuir provenant de fermes « vérifiées Rainforest Alliance ». Autre exemple avec Louis Vuitton qui met en avant sa filière de cuir « made in France » (1). Mais quel est le poids de ces filières d’excellence dans le total ?

(1) Alors que l’élevage bovin français exporte 76% de ses peaux brutes vers des tanneries étrangères, il subsiste une vingtaine de tanneries bovines en France, dont la plupart sont positionnées sur la haute qualité (source : Livre blanc du cuir).


Des entreprises plus ou moins transparentes

Dans son rapport 2012 sur la déforestation , le Carbone Disclosure Project évalue le reporting des entreprises sur les liens entre leur activité et la déforestation. Pour le secteur « habillement et luxe », sur 30 entreprises contactées, dix ont accepté de répondre, dont Marks & Spencer, en pointe sur le sujet ou, côté chaussures, Clarks, Patagonia, Adidas et Nike. Côté luxe, seuls Dior, Gucci et LVMH ont joué le jeu de la transparence, sans pour autant garantir que leur cuir n’est pas lié à la déforestation. Le CDP appelle les investisseurs à se saisir de l’enjeu dans leurs relations avec les entreprises.

Cet article de Thibault Lescuyer a initialement été publié, le 12 mars, par Novethic.


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