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Bois illégal : l’Europe attaque le trafic à la racine
mercredi, 6 mars 2013 / Justine Boulo /

Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier.

Et si votre salon de jardin était construit à base d’un bois coupé sauvagement au Congo ? A priori, depuis le 3 mars, ce n’est plus possible. Un règlement de l’UE interdit l’importation illégale de bois. Comment ça va marcher ? Explications.

Saviez-vous que le bureau du fiston, les cadres des photos de baptême du p’tit et le bois de chauffage pour l’hiver provenaient d’une forêt protégée de Malaisie ? Rassurez-vous, c’est fini ce temps-là. Enfin, presque.

Dimanche 3 mars, le règlement sur le bois dans l’Union européenne (le RBUE) qui interdit l’importation illégale de bois en Europe, est entré en vigueur. Avant cela, rien n’obligeait un importateur à justifier solidement l’origine de sa marchandise. Or, malgré les douanes, les frontières européennes sont de véritables passoires. Aujourd’hui, 10% à 19% des bois importés dans l’Union européenne proviennent du commerce illégal, selon le ministère de l’Ecologie. Interpol estime que 30% du bois commercialisé dans le monde est obtenu de manière frauduleuse.

Les Etats-Unis et l’Australie ont déjà pris le problème à bras le corps. Le Vieux continent, lui, vient tout juste de s’y mettre. Le règlement européen est la dernière pièce d’un puzzle entamé il y a dix ans. Un mastodonte de mesures vouées à lutter contre le trafic de bois. Jusqu’à présent, un exploitant pouvait couper et vendre son bois à condition d’avoir obtenu un permis Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Les douanes vérifiaient – ce qui est toujours le cas – que les numéros de lots tatoués sur les grumes correspondaient bien au permis d’importation. Le bois voyage en quelque sorte avec un passeport.

A l’importateur de vérifier sa marchandise

Mais la nouveauté aujourd’hui, c’est que l’entreprise qui achète son bois doit s’efforcer d’étudier sérieusement la possibilité de fraude de sa marchandise. La Commission européenne a baptisé cette démarche la « diligence raisonnée ». Un système juridique que les Etats-Unis ont mis en place en 2008 avec le « Lacey Act ». Par exemple, l’entreprise américaine Gibson avait été épinglée en 2011 pour avoir acheté un bois coupé illégalement à Madagascar. Les papiers de la marchandise avaient été falsifiés. Mais la police s’en est pris au fabricant de guitares pour n’avoir pas suffisamment fait attention. C’est le scénario qui sera appliqué désormais en Europe.

Concrètement, comment ça marche ?. Frédéric Amiel, chargé de campagne forêts chez Greenpeace, explique que « l’entreprise doit se poser une succession de questions qui va garantir que tel bois est légal ». D’abord, est-il certifié par le Cites ? Si oui, aucun problème. A-t-il reçu la licence FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade). Ce label est un sésame de « très haut niveau » qui garantit la légalité du bois. L’UE a passé des accords avec six pays producteurs, le Cameroun, le Ghana, l’Indonésie, la République centrafricaine, la République du Congo et le Liberia - d’autres s’apprêtent à signer ces partenariats. Cet accord garantit que des contrôles ont été mis en place pour certifier l’origine du bois, et en contrepartie, Bruxelles favorise l’entrée des produits du pays partenaire sur son territoire.

Deuxième question : s’il n’est pas doté de cette licence, est-ce que moi, importateur, je connais le pays, la région et la concession exacts du bois que j’achète ? Est-ce que j’ai obtenu les papiers d’importation, le carnet de suivi, etc... ? Si oui, c’est bon j’achète. Sinon, je me dois de refuser la marchandise. C’est en fait l’acteur au bout de chaîne qui est sommé d’empêcher le trafic. Pourquoi ? Simplement parce qu’à la source, les contrôles ne valent pas grand chose. Les principaux exportateurs de bois sont justement des pays où règne le vide juridique, comme la République démocratique du Congo. « Si un inspecteur vérifie la marchandise du lundi au vendredi au port de Kinshasa, les trafiquants embarqueront le bois illégal le samedi en changeant les numéros de lots », illustre, presque sans ironie, Frédéric Amiel.

Efficace sur le papier, moins sur le terrain

Donc ça y est, depuis la loi européenne, les meubles, le bois de chauffage, en passant par les traverses de chemin de fer, le contreplaqué, les cadres en bois pour tableaux, et même les cageots de nos patates, tout ça, ce sera garanti 100% légal. Dans le monde des Bisounours, oui. Dans la réalité, c’est autre chose. Frédéric Amiel perçoit cette mesure comme « un grand pas en avant, car elle ne s’en prend pas seulement au bois illégal, mais aussi au bois à fort potentiel illégal. Mais aujourd’hui, elle n’est pas efficace ».

En effet, c’est longuet. Car s’il s’agit d’un amendement européen, chaque Etat membre doit maintenant l’intégrer dans sa loi. Et là, ça coince. Règlement dit punition. « Des pays, comme la France, n’ont pas encore décidé quelles sanctions appliquer. Il s’agira sans doute d’amendes proportionnelles. Mais comme c’est un délit, il doit être inscrit au code civil, ce qui demande un vote à l’Assemblée. » Premier bug. « Quel sera l’organisme chargé des contrôle ? Le ministère de l’Agriculture ? La direction générale des fraudes et donc le ministère des Finances ? », interroge le responsable de Greenpeace.

Entrepreneur, débrouille-toi

Dans ce charivari, les entreprises n’ont pas attendu les bras croisés. Beaucoup ont recours à la certification – non obligatoire – par des organes indépendants, comme Veritas ou le Forest Stewarship Council. Car malgré l’armada de mesures pensées depuis 2003, les failles ne manquent pas. La licence FLEGT, le top du top soi-disant, la Rolls de la garantie sur la légalité, doit bien avouer ses échecs. Le lendemain même de l’amendement du règlement européen, l’organisation non gouvernementale Global Witness révèle que plusieurs mètres cubes de bois coupés illégalement au Liberia a débarqué au port de Nantes. Le Liberia, l’un des six pays qui avait signé un partenariat avec l’UE pour renforcer ses contrôles et obtenir le sésame FLEGT. Aïe !

La directrice du Forest Stewarship Council France, Marie Vallée, remarque que « ces accords de partenariat ne sont pas prêts pour garantir réellement la légalité du bois importé. En attendant que le règlement européen soit solide, la certification reste un moyen pour les entreprises de s’assurer de l’origine de leur marchandise ». Le FSC réalise des audits pour des entreprises, leur certifiant que la forêt a non seulement été exploitée légalement mais aussi dans une démarche durable. « Cela fait plus de deux ans que nous suivions les travaux de la Commission. Nous avons ainsi adapté nos textes pour inclure dans nos certifications les attentes du règlement Bois », explique Marie Vallée. Une entreprise qui aurait le label FSC entrerait donc automatiquement dans les clous de la diligence raisonnée. « En attendant que la nouvelle loi soit vraiment efficace, les entreprises se débrouillent seules. »