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Le sillon sans labour du pionnier de l’agroécologie
jeudi, 28 février 2013 / Alexandra Bogaert

Sylvain Delahaye, 57 ans, à Lyons-la-Forêt (Eure).

Depuis son salon, design et épuré, baigné de soleil, Sylvain embrasse du regard ses cultures. Sa maison en bois est plantée au milieu des 290 hectares qu’il cultive avec son frère. Au plus près de la terre. Sylvain a le sourire franc, le contact facile. Pas taiseux pour un sou. Cela fait plus de cinquante ans que ses bottes foulent la terre des Tainières, un hameau perché sur les hauteurs de Lyons-la-Forêt, dans l’Eure. A cette saison, les champs des voisins sont nus. Les siens verts. Y pousse du colza, avec du lin et des féveroles. Ces légumineuses stimulent la croissance de la plante, le lin la protège des insectes. Sylvain est perçu par certains comme un « fantaisiste ». Dans le pays, on le critique, on le méprise parfois, on le copie aussi. Il s’en amuse.

Travailler « avec » sa terre

A 45 ans, après une vingtaine d’années d’élevage de taurillons, il a fait sa « vraie révolution agricole ». Ce fils d’éleveur-cultivateur en conventionnel a vendu ses bêtes et décidé de ne plus labourer. Il voulait tracer son propre sillon : celui de l’agriculture écologiquement intensive. Depuis 2001, on le voit plus souvent à genoux dans ses champs « pour observer ce qui s’y passe » qu’au volant de son tracteur. Il travaille « avec » sa terre et la triture moins, pour laisser la vie s’y développer. Entre deux cultures de blé, de maïs ou de colza (il pratique la rotation), il maintient une couverture végétale sur le sol. Laisser une terre nue, c’est l’exposer au froid, au soleil, à l’érosion, et risquer que les nitrates atteignent les nappes phréatiques. « Ressemer de la luzerne, de la moutarde ou de l’avoine entre deux récoltes permet de structurer le sol, de le protéger et d’apporter de la nourriture, notamment aux vers de terre. Ça relance la biodiversité. »

Livres d’agronomie

Pas de labour, moins de labeur ? Depuis que Sylvain s’est mis à l’agroécologie, il consacre deux jours, en semaine, à un engagement associatif. Et fait des économies substantielles en machines et en carburant. Recourir aux produits phytosanitaires n’est plus un automatisme, même si, dit-il, « je ne m’interdis pas d’en utiliser quand je ne peux pas faire autrement ». Cette liberté est « intellectuellement très satisfaisante ». « Je n’ai plus de recette toute faite. Je m’adapte en fonction de mon sol, du climat, je me replonge dans mes livres d’agronomie, je partage mon expérience avec d’autres agriculteurs. On se serre les coudes », explique-t-il. Pour lui, l’agriculture conventionnelle, avec « son approche chimique du sol, va droit dans le mur ». Le bio, qui interdit les intrants, « bloque toute liberté d’action ». Lui a trouvé sa voie. Bien sûr, il y a eu des phases de découragement. « Au début, j’ai raté des cultures. Et les erreurs, on les paie cash, surtout quand on n’a pas d’aides. » Mais ses rendements sont désormais presque aussi bons qu’en conventionnel. Les économies en plus. —