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Viande de cheval : faut-il nourrir les pauvres avec les plats retirés ?
jeudi, 21 février 2013 / Amélie Mougey

De la viande de cheval à la soupe populaire ? Si les plats retirés du marché s’avèrent consommables, les associations pourraient les récupérer. L’idée parait sensée mais sa réalisation compliquée.

Par prudence, les distributeurs n’ont encore rien proposé. Par dignité, les associations ne leur ont officiellement rien demandé. Mais tous se demandent ce que vont devenir les tonnes de nourriture surgelée retirées de la vente suite à l’affaire de la viande de cheval. Et certains suggèrent déjà qu’elles finissent dans l’assiette des plus démunis. « Les bénéficiaires et les bénévoles se plaignent souvent de portions trop chiches, estime Marc Castille, porte-parole du Secours Populaire, en récupérant ces lots on pourrait donner plus à plus de monde. »

Encore faudrait-il connaître le volume de nourriture retiré. Les lots incriminés ont été identifiés. Mais la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), comme les distributeurs, refusent de communiquer sur la quantité de nourriture concernée en France. On sait seulement qu’à l’échelle européenne 4,5 millions de plats ont été vendus dans 13 pays depuis 2009.

« On ne veut pas faire rêver les gens »

Chez Picard, on veut bien glisser qu’entre 4 000 et 5 000 barquettes ont été retirées des bacs de surgelés. Un chiffre partiel qui oublie les produits stockés dans les entrepôts. Sur le volume total, le spécialiste du surgelé garde lui aussi le mystère. « On ne veut pas faire rêver les gens qui veulent récupérer cette nourriture alors qu’elle sera peut-être détruite », se justifie François d’Oléon, chargé de communication pour le groupe. Interrogés sur le devenir de ces aliments, Casino, Auchan et les autres enseignes concernées ne nous ont pas non plus répondu.

Chaîne du froid

Une question de semaines, de mois avant que le verdict tombe ? Pour l’instant, personne ne sait. Mais d’ici là, la chaine du froid doit être respectée. Sur ce point, les distributeurs sont formels, depuis le début de l’affaire, lasagnes, moussakas et hachis parmentiers incriminés n’ont jamais quitté les congélos. Chez Picard, tous les produits retirés du marché sont stockés dans un même entrepôt. « Ils sont conservés dans des conditions classiques de congélation, promet le chargé de communication, ils ne sont donc pas altérés. »

Pour autant, le risque de voir ces tonnes de nourriture terminer aux ordures n’est pas écarté. Car, une fois les précautions sanitaires levées, c’est sur la logistique que les associations vont butter. « Vu l’ampleur de l’affaire, on ne pourra jamais tout récupérer », affirme Agathe Revol, porte-parole des Restos du cœur. « Pour nourrir les plus démunis, les plats retirés du marché ne compenseront jamais la dégringolade des aides européennes », tempère Karine Vauloup, du Secours Populaire.

Plus facile de conserver des choux

Avec ses 97 points de distribution et d’importants sites de stockages, la Fédération des banques alimentaires est moins catégorique. « Quand le cours du chou dégringole et que les agriculteurs bretons se retrouvent avec leurs productions sur les bras, on est capable de les absorber », souligne Laurence Champier, la porte-parole. « Mais cette fois c’est du jamais vu, on va avoir besoin d’aide. »

D’autant qu’il est plus simple de conserver des choux que des surgelés. Dans le cadre du PEAD (Programme européen d’aide aux plus démunis), la fédération en reçoit déjà. Mais en quantité limitée. « Les erreurs de cette ampleur sur les chaînes de production, ça n’existe pas, explique Laurence Champier, et les volumes n’ont rien à voir avec le contenu d’un camion renversé. » Pour que le produits arrivent aux plus démunis, les associations vont donc devoir chambouler leur organisation.

Stockage, transport : tout cela aura un coût. Des frais que le Secours Populaire refuse de faire porter à ses donateurs. « On compte sur la grande distribution pour gérer ses stocks et nous approvisionner petit à petit, explique Marc Castille, c’est le moins qu’ils puissent faire pour se racheter ». L’association voit même dans un exercice pour l’avenir. « Ce scandale pose la question de la gestion du gaspillage alimentaire , c’est le moment de voir des idées émerger. »

Méfiance des bénéficiaires

Cette seconde étape franchie, le succès de l’opération n’est toujours pas garanti. « Si l’autorisation sanitaire est accordée et qu’on parvient à gérer les volumes, on n’est pas certains de pouvoir les écouler » souligne Laurence Champier. Car si ces plats préparés obtiennent une deuxième vie, les associations veilleront à ce que, cette fois, tout risque de tromperie sur la marchandise soit écarté. « Tous les produits contenant de la viande de cheval seront étiquetés, assure Agathe Révol, porte-parole des Restos du cœur, ainsi les bénéficiaires auront le choix. »

La Croix Rouge, seule ONG à s’opposer à la récupération des lots retirés, a décidé pour eux. « C’est une question de dignité. On n’a pas envie de stigmatiser, de souligner que parce qu’on ne mange pas à notre faim, on peut manger des produits dont les autres ne veulent pas », soutient l’association. Pour les banques alimentaires, qui récupèrent déjà les produits dont la date limite d’utilisation optimale est dépassée, « la lutte contre le gaspillage l’emporte ». Mais après des semaines à faire les gros titres, ces petits plats ont de grandes chances d’être regardés de travers par les bénéficiaires. Et, au terme d’un parcours du combattant pour arriver dans les cartons des associations, la viande de cheval n’est pas sûre d’en sortir.