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TGV Ouigo : vous y gagnez, la SNCF encore plus
mercredi, 20 février 2013 / Justine Boulo /

Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier.

Un Paris-Marseille pour 10 euros, avec la SNCF, c’est possible. A ce prix là, les voyageurs préservent leur porte-monnaie. Loin de faire la charité, la compagnie ferroviaire en sort gagnante.

« Avec 10 euros, on va pas loin. Et bah si. » La publicité du tout nouveau TGV baptisé Ouigo tape autant à l’œil que sa carrosserie bleu ciel. Normal, il est ultra low-cost. Chaque année, 400 000 voyages à 10 euros seront proposés. Et 25% des quatre millions de places à vendre seront commercialisées à moins de 25 euros. Un Ryanair sur rail en gros, dévoilé au public mardi 19 février et qui roulera dès le 2 avril.

Mais la micheline, si elle fait voyager pour trois cacahuètes, n’est-elle pas plus économe pour la société de chemins de fer que pour le vacancier ? « La SNCF optimise au maximum ses coûts d’exploitation du TGV », explique Bertrand Le Moigne, consultant chez Sia Conseils, spécialiste des transports. Elle sort la cisaille sur toutes les sources de dépense. D’abord, la structure du train. Ouigo comporte quatre rames à deux niveaux accueillant 1268 passagers, soit 20% de plus qu’un TGV classique. A l’intérieur, une seule classe et pas de voiture-bar. L’objectif est de densifier l’espace. C’est pourquoi la loco ne parcourt que la ligne classique, la PLM, Paris-Lyon-Marseille, celle qui concentre 35% du trafic français. Moins de trains, avec plus de gens dedans.

Enfin... Paris-Lyon-Marseille, faut le dire vite. Ouigo ne part, ni n’arrive vraiment à Paris, mais à Marne-la-Vallée Chessy, à 40 kilomètres de la Tour Eiffel. En arrivant à la gare, c’est plutôt ambiance Disney (le parc Disneyland Paris s’y trouve) que Ville Lumière. Il ne dessert pas non plus Lyon centre, mais la gare de Lyon-Saint-Exupéry, 15 bornes plus loin. Quel intérêt de larguer le voyageur en banlieue ? Les péages, voyons. Pour avoir le droit d’utiliser les infrastructures de Réseau Ferré de France, la SNCF lui verse une redevance – chiffre que l’entreprise n’a pas voulu communiquer. Pour Bertrand Le Moigne, « le péage de RFF est modulable en fonction de la gare de départ : le péage est moindre sur les gares secondaires, comme Marne-la-Vallée ».

« Cheminots sacrifiés »

Autre argument avancé par Barbara Dalibard, directrice de SNCF Voyages : utiliser une gare périphérique permet à la SNCF « de réaliser une économie de 30% sur l’utilisation de la voie car chaque TGV sera immédiatement sur la ligne à grande vitesse ». Aucune perte de temps à sortir des centres urbains au pas. Prendre le train en banlieue, c’est comme monter dans sa voiture à un embranchement d’autoroute.

Pour être productif, Ouigo devra carburer. « L’utilisation des rames sera plus intense : 13 heures par jour de circulation au départ de Marne-la-Vallée, contre environ 6 heures au départ gare de Lyon », précise Bertrand Le Moigne. Le consultant avance aussi que « la maintenance se fera de nuit pour optimiser les rotations ». Vu qu’il n’y a pas de petites économies, les réservations se font exclusivement sur le web. Ce qui fait bondir la CGT des cheminots. Dans son communiqué, la Confédération générale du travail dénonce que « le seul canal de distribution sera internet. Les cheminots de la vente seront donc sacrifiés ».

Le syndicat compare Ouigo à un train de « troisième classe ». Des billets moins cher riment avec moins de confort. Il faudra prévoir son sandwich maison. Tasser le maillot de bain entre le pyjama des enfants, car un seul bagage par voyageur n’est accepté à moins de payer plus. Et se coltiner 45 minutes de RER ou une demi-heure de navette Rhonexpress avant de s’installer sur le siège attitré. « N’oublions pas que des voyageurs habitent aussi en banlieue ! s’exaspère Jean-Claude Delarue, président de la Fédération des usagers des transports et des services publics. Bon d’accord, il faut aller à Marne-la-Vallée. Mais s’il n’y a que ça... » A ce prix-là, c’est vrai, l’inconfort est secondaire.

En vrai, le prix des billets double

Le problème, c’est que ce n’est pas si bon marché pour le voyageur. C’est la logique du « yield management », l’optimisation tarifaire permettant de remplir le train en maximisant les recettes. En gros, on crie sur les toits que ce n’est pas cher et les voyageurs se précipitent et remplissent les wagons. « La SNCF a créé un effet d’annonce en insistant sur les billets à 10 euros. Mais les tarifs ne seront pas tous si bas, ils varient en fonction des dates de départ », explique Bertrand Le Moigne. Plus les demandes augmentent, plus les prix grimpent. Les prix des autres billets s’étaleront d’ailleurs jusqu’à 85 euros.

Mais même à ce prix, on se moque pas mal de se faire arnaquer de quelques euros. Arnaquer ? Un peu seulement. Prenons la famille Ramirez, avec papa, maman et bébé. De Paris, ils se rendent à Marseille durant le weekend du 1er mai, en réservant trois mois à l’avance. Avec Ouigo, les deux adultes profitent encore des billets à 10 euros et l’enfant, du tarif unique à 5 euros. A cela s’ajoute 5 euros pour un bagage supplémentaire. Parce que les couches et les biberons, ça pèse. Heureusement, la poussette est offerte. Ouf !

En rentrant de vacances, les savons à la lavande et les bidons d’huile d’olive ne rentrent pas dans la valise. Fichus souvenirs ! Il faudra compter un supplément de 40 euros. Pour rentrer dans leur T2 du 20e arrondissement, ils emprunteront le RER A, soit 7,30 euros par trajet, et ce multiplié par quatre, soit 29,20 euros. Au final, le voyage aller-retour à trois, censé coûter 50 euros, grimpe à 115,20 euros. Si c’est le prix à payer pour avoir manqué l’astérisque en bas à droite, ça reste raisonnable.

Jackpot pour 1% des voyageurs

Le même trajet en covoiturage aurait coûté 150 euros, avec en prime les braillements de bébé pendant 8 heures. Par le TGV, avec le petiot sur les genoux, il aurait fallu débourser 187 euros en tarif plein, en sautant sur les dernières offres. Par avion de type Ryanair, sachant que le coup du bagage nous fiche dedans, le weekend s’élève à 362 euros... En voilà une opération intéressante. « Un coup marketing de la SNCF », dénonce Jean-Claude Delarue. Pour l’association des usagers, il faut nuancer car ces voyages à prix cassés ne touchent que « 1% des utilisateurs du rail. Il y a 100 millions d’usagers du TGV par an en France. Or, Ouigo ne vendra qu’un million de billets à moins de 25 euros. Ce n’est pas la priorité dans le secteur, mais c’est toujours bon à prendre. »

La priorité de la SNCF n’est pas la même que celle des usagers qui « veulent surtout avoir la garantie d’arriver à l’heure au boulot » gronde Jean-Claude Delarue. Bertrand Le Moigne explique que ce coup de théâtre qu’est l’entrée du low cost dans le service public, est le signe que la SNCF se prépare à l’ouverture à la concurrence, prévue en 2019. « Par cette offre, elle anticipe la libéralisation du marché ferroviaire. La puissance du low cost marque cette tendance de vouloir barrer la route aux sociétés compétitives. »

Le trafic global des TGV s’est tassé depuis cinq ans. En 2012, le nombre de voyageurs a même reculé pour la première fois de 0,5 % sur les trajets en France. Le défi pour la SNCF est de recruter des voyageurs. D’après les prévisions, Ouigo engendrera des bénéfices dès 2017. Juste à temps pour contrer l’arrivée de potentiels concurrents.