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Portable, bisphénol A, Gaucho : comment l’imprudence a pris le pas sur la santé
vendredi, 25 janvier 2013 / Alexandra Bogaert

L’Agence européenne de l’environnement démontre dans un rapport les ravages du lobbying et des conflits d’intérêts. Elle pointe les erreurs néfastes à la santé humaine à travers 20 exemples. En voici trois.

Les technologies que nous adoptons représentent-elles une menace pour notre santé ? Ne devrions-nous pas remplacer la précipitation par le principe de précaution ? L’Agence européenne de l’environnement pose ces questions dans son rapport publié le 23 janvier « Signaux précoces et leçons tardives ».

Dans ce pavé de 750 pages ultra-informé (en anglais), l’Agence prend l’exemple de 20 produits chimiques et nouveautés technologiques arrivés sur le marché alors même que leurs effets étaient mal connus. Avec pour possible conséquence une « propagation rapide et accrue des risques, dépassant la capacité de la société à comprendre, reconnaître et réagir à temps pour éviter les conséquences néfastes ».

Une fois ces produits reconnus dangereux – souvent des années après leur commercialisation –, leur retrait du marché est souvent long et difficile en raison du poids économique qu’ils représentent et du fort lobbying des industriels qui les produisent.

Dans bien des cas, « les avertissements ont été ignorés ou écartés jusqu’à ce que les dommages pour la santé et l’environnement ne deviennent inéluctables. Dans certains cas, les entreprises ont privilégié les profits à court terme au détriment de la sécurité du public, en cachant ou en ignorant l’existence de risques potentiels. Dans d’autres cas, les scientifiques ont minimisé les risques, parfois sous la pression de groupes d’intérêts », précise le rapport de l’Agence européenne de l’environnement.

Parmi ces exemples, Terra eco en a sélectionné trois : le bisphénol A, perturbateur endocrinien présent dans les plastiques ; le pesticide Gaucho soupçonné de désorienter et tuer les abeilles ; les risques associés à l’usage des téléphones mobiles.

- Le bisphénol A : de la nocivité des conflits d’intérêts

On sait depuis 1934 que le bisphénol A (BPA), contenu dans des milliers d’objets en plastique de consommation courante, est une substance synthétique qui « mime » l’œstrogène, hormone féminine naturelle. Mais ce n’est qu’en 1993 qu’on a découvert que le BPA migre et s’infiltre des boîtes de conserve ou des biberons jusqu’aux aliments, et donc que le consommateur en ingurgite. Avec quels effets sur l’organisme ?

Rapidement, de nombreuses études indépendantes ont démontré que le BPA à petites doses a plus d’effets délétères dans l’organisme que le BPA à haute dose. Et que l’exposition de l’être humain à cette substance dès le ventre de sa mère et les premières années de sa vie peut provoquer, bien des années plus tard, des changements de comportements, l’apparition de maladies et de troubles de la reproduction.

Pourtant, les industriels du BPA contestent mordicus ces d’études jugées « invalides ». Celles auxquelles ils croient - celles qu’ils financent - démontrent a contrario l’innocuité du produit à faible dose. « L’étude sponsorisée par la Société des industries plastiques est-elle si fiable que toutes les autres doivent être rejetées ? », s’interroge l’Agence européenne de l’environnement dans son rapport.

Oui, si l’on en croit l’Efsa, l’Agence européenne de sécurité des aliments, qui estime que les études indépendantes ne sont pas fiables. Peut-être parce que parmi les 21 membres du comité de l’Efsa en charge de l’évaluation des additifs et matières en contact avec la nourriture, 9 sont directement ou indirectement financées par l’industrie du BPA. Est-ce pour cette raison que l’Efsa a, en 2006, multiplié par cinq la dose journalière admissible et n’a toujours pas reconnu cette substance comme étant toxique pour la reproduction ?

La Food and drug administration (FDA, équivalent de l’Efsa aux Etats-Unis) a longtemps été aveugle, elle aussi. Mais elle a pour la première fois admis, en 2010, qu’il existe « une inquiétude sur les effets potentiels du BPA sur le cerveau, le comportement et la prostate du fœtus et jeunes enfants ». La FDA n’a cependant pas changé son évaluation des risques, contrairement au Canada qui a classé cette substance comme « toxique » dès 2010, interdisant de ce fait son utilisation dans les produits de consommation courante. En France, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a reconnu en 2011 des risques nombreux liés à l’absorption du BPA à des doses bien inférieures à celles autorisées.

Reste qu’à ce jour, « la plupart des autorités européennes, américaines et asiatiques déclarent le BPA comme étant sûr », note le rapport. Mais les pressions exercées par des consommateurs ont forcé certaines grandes entreprises à retirer leurs produits contenant du bisphénol A des rayons.

-  Vade retro Gaucho : quand le principe de précaution fonctionne

Le Gaucho, insecticide utilisé dans le traitement des semences, a été commercialisé par Bayer en France dès 1991 pour protéger les betteraves des nuisibles. En 1992, sa commercialisation a été étendue aux champs de maïs. L’année suivante, l’épandage sur les tournesols a été autorisé.

Dès 1994, les apiculteurs ont constaté que de nombreuses abeilles, désorientées, ne retrouvaient plus le chemin de la ruche. Leur taux de mortalité était supérieur à la normale. Les récoltes de miel ont diminué fortement. Les apiculteurs ont réclamé à Bayer des informations sur la toxicité potentielle de l’imidaclopride, la substance active du Gaucho. Alors même que Bayer, pour obtenir la commercialisation de son produit, avait déclaré aux autorités françaises que les abeilles ne seraient pas en contact avec cette substance. Ce que les autorités n’avaient pas vérifié...

Sans grande surprise, les études financées par Bayer ont indiqué que le Gaucho ne présentait aucun risque pour les abeilles. Qui continuaient toutefois à avoir un comportement étrange et à produire beaucoup moins. En 1997, les apiculteurs ont publiquement contesté les études fournies par l’industriel. Le ministère de l’Agriculture a sollicité des chercheurs du public pour qu’ils mènent leur propre enquête. Ils ont conclu à des suspicions d’effets délétères du Gaucho sur les abeilles. Pas à des certitudes.

Appliquant le principe de précaution, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Jean Glavany, a décidé de retirer du marché le Gaucho pour les tournesols en 1999. Bayer a attaqué le ministère, de même que plusieurs autres contradicteurs, en justice. En vain. L’interdiction court toujours.

Pour autant, après 1999, les abeilles ont continué à agir étrangement et à mourir en nombre. De nouvelles études publiques ont permis de trouver de l’imidaclopride dans le pollen de maïs. D’où l’interdiction de bannir le Gaucho des champs de maïs en 2004. Mais l’imidaclopride est cependant toujours autorisé, en France, dans les champs de betterave, d’orge et de blé. Depuis 2010, il est même autorisé dans les vergers.

Dans cette affaire, les chercheurs ont été mis dans une position délicate. « Les résultats de leurs études étaient cruciaux pour le débat, et les enjeux économiques et politiques étaient importants », note l’Agence européenne pour l’environnement. Le rapport montre que certains chercheurs du public, soumis aux menaces de Bayer, ont interrompu les études en cours. Il montre aussi que la mise sur le marché des pesticides est, en France, peu réglementée et uniquement basée sur les déclarations des industries qui souhaitent les commercialiser.

- Téléphones portables : fritures toute la ligne

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé les ondes électromagnétiques des téléphones portables comme étant « possiblement cancérogènes pour l’homme ». C’était en mai 2011. Soit douze ans après les premières études sur le lien entre l’usage fréquent des mobiles et l’apparition de tumeurs au cerveau. Pour prendre cette décision, le CIRC s’est appuyé sur les études du groupe suédois Hardell et sur l’étude internationale Interphone.

Les premiers résultats du groupe Hardell datent de 1999. A l’époque, aucun lien n’a été fait entre usage du téléphone et apparition de tumeurs. Mais cela ne faisait que quelques années que les portables étaient en circulation, et les personnes équipées étaient encore peu nombreuses. Les chercheurs ont réitéré leurs enquêtes durant la décennie suivante. Toutes ont conclu à un risque accru de gliome (tumeur cérébrale) en fonction de l’intensité de l’utilisation du mobile, et du nombre d’années. Et ont établi qu’utiliser le mobile avant 20 ans démultipliait ces risques.

Dès 2007, l’Agence européenne de l’environnement a suggéré de prendre des mesures de précaution, concernant notamment la limitation de l’utilisation des portables.

Les résultats de la méga-étude Interphone ont, eux, été beaucoup moins clairs. Interphone est en fait une compilation d’études, sous l’égide du CIRC, menées dans 13 pays par 16 centres de recherche, entre 2000 et 2004. Les résultats obtenus sont très contrastés : certains mettent en avant les risques accrus de tumeur au cerveau quand d’autres concluent à l’innocuité du mobile, et même à son effet « protecteur » contre les radiations !

Voilà qui explique pourquoi les membres du CIRC ont mis quatre ans à publier les résultats. Ils ont, par un vote, classé les ondes comme possiblement cancérogènes en 2011. Mais ont à la fois précisé que l’association entre l’usage du portable et les tumeurs n’avait pas été prouvée et que les usagers qui avaient utilisé leur portable pendant 1640 heures (soit environ 30 minutes par jour) avaient un risque accru de manière significative de développer un gliome...

Dans ce brouhaha incompréhensible, les opérateurs de téléphonie mobile n’ont entendu que la première assertion. Et s’appuient dessus pour dire avec aplomb que l’usage du portable est sans danger, et que les enfants ne sont pas plus sensibles aux ondes que les adultes. Cette « inertie de l’industrie du téléphone mobile face aux diverses études » est critiquée par l’Agence européenne de l’environnement qui regrette également l’absence d’impact significatif de cette classification par le CIRC sur l’action des gouvernements.

La situation pourrait bientôt changer, à la suite d’une décision de la Cour suprême italienne. Le 12 octobre dernier, elle a condamné l’assurance d’un businessman à lui verser des indemnités compensatrices. Cet homme a utilisé son téléphone plusieurs heures par jour pendant douze ans, pour raisons professionnelles, et a développé une tumeur au cerveau.


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Les autres cas d’études du rapport

La manipulation de la recherche par l’industrie du tabac ; la saga du secret autour des effets du chlorure de vinyl ; le dibromochloropropane répandu sur les bananes et qui provoque l’infertilité masculine ; la contamination de l’eau par le solvant chloré PCE ; les dernières leçons à tirer de Tchernobyl et celles de Fukushima ; les doutes sur l’innocuité des nanotechnologies, etc.