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Mines d’uranium au Niger : « La France aurait dû intervenir depuis longtemps »
vendredi, 25 janvier 2013 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Au vu des tensions dans la région, les forces françaises seront envoyées au Niger protéger les mines d’Areva. Pas étonnant quand on sait que 30% de l’approvisionnement français en uranium provient de ce pays, souligne le chercheur Emmanuel Grégoire.

Emmanuel Grégoire est directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, spécialiste du Niger

Terra eco : Selon les révélations du Point, la France aurait envoyé des forces spéciales pour protéger la mine d’uranium d’Arlit et le chantier d’Imouraren au Niger. Est-ce inattendu ?

Emmanuel Grégoire : Non pas du tout. Elle aurait même dû intervenir depuis longtemps . Avant la prise d’otages à Arlit (Niger), il y a deux ans et demi, le site n’était absolument pas protégé. Il l’était uniquement par une société privée que payait Areva et qui était installée à Niamey. C’était très insuffisant par rapport au risque encouru. D’autant qu’il y avait déjà eu l’enlèvement de l’humanitaire Michel Germaneau non loin de là en avril. On pouvait se douter qu’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique, ndlr) allait étendre son action. A la suite des enlèvements français à Arlit, l’armée nigérienne avait pris les choses en main mais elle avait toujours refusé une prise en charge française. Il faut dire que le régime de Mamadou Tandja n’était pas particulièrement, pour parler diplomatiquement, favorable aux Français. Mais récemment, il y a eu un revirement de la part du nouveau président de la République – Mahamadou Issoufou (arrivé au pouvoir en avril 2011, ndlr). C’est un homme qui connaît bien le secteur minier, il a été secrétaire général de la Somaïr (filiale d’Areva, ndlr). Il est sensible au problème. Il a aussi fait ses études en France, a rendu plusieurs fois visite à François Hollande depuis son élection. C’est lui qui a accepté la venue de l’armée française. Je rappelle au passage qu’il est prévu que le groupe Areva prenne en charge le financement de la sécurité du site (selon les informations du Point, ndlr).

L’intervention de la France au Mali a donc augmenté la pression sur ces sites…

L’intervention au Mali avait deux objectifs : celui de permettre au Mali de recouvrir son territoire et celui d’anéantir Aqmi et ses actions terroristes (prises d’otage, trafic de drogues…). Mais on ne sait pas trop comment la situation va évoluer. L’arrivée des forces de l’ordre autour des mines d’uranium est préventive. Aqmi a déjà attaqué In Aménas et Arlit. Et l’armée nigérienne n’est pas infaillible. Ils préfèrent mettre le paquet quitte à alléger le dispositif dans un an quand les tensions se seront peut-être apaisées.

Pour Aqmi, attaquer viserait à perturber l’exploitation. A In Aménas, (la prise d’otages le 16 janvier sur un site gazier algérien a fait au moins 23 morts), le temps de la prise d’otages, de réparer les dégâts… c’est autant de recettes perdues pour l’Algérie. S’ils attaquent les mines d’uranium d’Areva ce ne serait pas seulement pour prendre des otages mais aussi pour perturber l’approvisionnement de la France en uranium.

Les ressources en uranium au Niger sont-elles si importantes ?

Oui. L’exploitation de l’uranium au Niger permet d’approvisionner 30% des centrales françaises. D’ici trois à quatre ans, quand la nouvelle mine d’Imouraren sera en activité, le Niger couvrira 50% de l’approvisionnement de la France. Ce n’est pas rien. Les mines doivent être protégées pour assurer cette ressource à la France mais aussi protéger les recettes aux Nigériens. Ils ne pourraient pas se priver de cette manne.

Les Nigériens estiment quand même depuis longtemps qu’ils reçoivent une part trop minime du gâteau de l’exploitation d’uranium…

C’est vrai. Mais c’est redevenu une source plus importante de revenus depuis que le cours d’uranium – comme le cours du pétrole – a flambé, depuis 2007. Certes le contrat entre le Niger et Areva reste trop peu avantageux du point de vue des Nigériens mais ils en tirent désormais plus de profit.

D’autres ressources que l’uranium du Niger sont-ils en jeu dans cette zone ?

Non pas vraiment. Il y a du pétrole à l’extrême-est du Niger qui est exploité par les Chinois. Mais je ne pense pas que les Chinois intéressent Aqmi. Il y a de l’or dans le sud-ouest du Mali et du Niger. Peut-être du pétrole au Mali dans le massif de Taoudéni. On en est encore au stade de la prospection mais les coûts d’exploitation apparaissent très coûteux. La France n’a pas d’intérêt direct au Mali. Mais elle a intérêt à la stabilisation de la zone. D’ailleurs tout le monde y a intérêt. A commencer par les Etats africains qui doivent en finir avec le terrorisme pour protéger leurs ressources et leur population.

Si la situation devait empirer, la France pourrait-elle se retirer de la région ?

Je ne pense pas que la France se retirerait définitivement de la région, notamment du Niger. Avec le Kazakhstan et le Canada, c’est quand même l’un des trois principaux pays producteurs d’uranium dans le monde. Il y en a bien un peu en Chine ou aux Etats-Unis mais pas beaucoup. Si la France perdait les gisements du Niger ce serait très embêtant pour elle. D’autant qu’Areva est là depuis le début de la production d’uranium, qu’elle a formé des cadres, qu’elle a un savoir-faire avec les Nigériens. C’est capital.