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Accidents industriels : la prévention à moitié
mercredi, 23 janvier 2013 / Justine Boulo /

Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier.

Depuis la fuite de gaz de l’usine de Rouen, le public s’interroge sur la gestion des dangers industriels. Heureusement, des plans de prévention des risques technologiques sont spécifiquement prévus pour ces sites. Mais ils ne sont appliqués qu’une fois sur deux.

Voilà deux jours qu’un gaz nauséabond mais « non toxique », le mercaptan, s’échappe de l’usine chimique Lubrizol de Rouen (Seine-Maritime). Et dégage une odeur de chou pourri ressentie jusqu’en région parisienne et au sud de l’Angleterre.

Alors que l’opération de neutralisation est en cours, la polémique sur les défaillances de prévention ne fait qu’enfler. Et que ne découvre-t-on pas ? Le site Lubrizol susceptible d’entraîner des accidents « majeurs » n’a pas de Plan de prévention des risques technologiques. Et c’est grave de ne pas avoir un plan machin truc ? Oui et non...

Eviter un deuxième AZF

Le PPRT, comme on dit dans le jargon, est un document qui permet de faire cohabiter au mieux une usine à risques et des habitations. Histoire de faire vivre en sécurité les riverains d’une grosse raffinerie.

Le 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse (Haute-Garonne) cause la mort de 31 personnes, blesse des milliers de personnes et entraîne des dégâts matériels considérables. Il n’est plus question de revivre un tel épisode. La plupart des communes de France ne sont pas prêtes à faire face à un accident industriel survenant à proximité de logements. Le 30 juillet 2003 est votée la loi dite Bachelot.

La nouvelle législation impose alors aux sites classés Seveso « seuil haut », ceux qui représentent un très gros risque donc, de se munir de ces fameux PPRT. En pratique, il s’agit de définir un périmètre de sécurité autour de la zone industrielle. A l’intérieur de ce périmètre, le PPRT influe sur le plan local d’urbanisme. Concrètement, il s’agit d’exproprier les habitants soumis à un risque, prescrire de nouveaux travaux sur les logements, définir des recommandations de base, etc. Tout cela pour que si ça pète, tout soit prêt pour répondre aux besoins des habitants.

Une prévention utile... si elle existait

Le hic ? C’est que la moitié de ces plans ne sont toujours pas adoptés... Et ça traîne. « Nous travaillons d’arrache-pied à cette prévention des risques technologiques. Et il faut encore mettre l’accélérateur par rapport à la situation de tous ces sites Seveso qui sont à proximité des habitations », déclarait Delphine Batho, ministre de l’Ecologie, ce mercredi 23 janvier. Sur les 403 plans de prévention des risques technologiques, seuls 203 ont été approuvés. « Ce sont des bouts de papier. Approuver un PPRT, ça ne veut pas dire que les expropriations ont été effectuées et que les travaux d’aménagement ont été réalisés », résume un porte-parole d’Amaris, association nationale des communes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs.

Pour exemple, l’usine Lubrizol, qui existe depuis 1954, a été classée site Seveso « seuil haut » le 10 août 2009. Cela fera donc bientôt quatre ans qu’elle doit se prémunir d’un PPRT. Un chouïa longuet pour l’association Respire. Sébastien Vray, son président, s’arrache les cheveux : « Ce n’est pas normal qu’aucun plan de prévention ne soit appliqué au plus gros exportateur de Haute-Normandie. » En 2011, la préfecture émet un premier arrêté qui prolonge le délai d’instruction. Un an plus tard, un deuxième texte renvoie la décision au 6 novembre 2013. Bref, on n’est pas prêts de le voir le fameux PPRT.

Qui paye ? Bonne question

Mais si ce « bout de papier » peut renforcer la sécurité des riverains et éviter un marasme financier aux collectivités locales, pourquoi la moitié de ces PPRT sont encore dans les cartons ? La législation elle-même est mal fichue. La loi du 30 juillet 2003 est un mille-feuilles juridique, qui grossit au fil des ans et des nouvelles procédures.

Avec en fond de toile, l’argent. Quand il s’agit de savoir qui va raquer, chacun a des oursins au fond des poches. « A l’origine, la loi prévoyait un crédit d’impôt de 15% pour aider les habitants à réaliser de nouveaux travaux. L’Etat ne finançait donc que 15% de cet aménagement. Mais ce n’est pas acceptable de faire payer les particuliers ! », explique la porte-parole d’Amaris. Aujourd’hui, le crédit d’impôt a été relevé à hauteur de 40%. « Delphine Batho semble volontaire pour un financement à 100%. » A chaque fois, ce sont des amendements qui s’ajoutent. « Forcément, ça fait traîner les débats », regrette l’association.

Sécuriser une zone ultra-réduite

La gestion des risques technologiques est encore loin d’être maîtrisée en France. Pour Lubrizol, le nuage de gaz s’étendant à des centaines de kilomètres au-delà du site, un PPRT n’aurait été d’aucune utilité semble-t-il. « Bien sûr, une fois le nuage de gaz répandu, on ne va pas exproprier les gens jusqu’en Angleterre ! », ironise Sebastien Vray. Ni même le moindre Normand d’ailleurs. Car pour chaque site, une carte des « aléas toxiques » est réalisée. En gros, un périmètre de la zone rouge. Pour l’usine rouennaise, la carte réalisée par l’entreprise, et validée par la préfecture, se limite à l’intérieur de l’usine.

Amaris explique que la loi Bachelot cherche à limiter les dommages des catastrophes de type AZF. « L’explosion de l’usine avait blessé, parfois mortellement, énormément de gens car les vitres des maisons alentour avaient éclaté. Il s’agit de ne pas reproduire les erreurs du passé, en repensant l’urbanisme et les constructions. » Alors l’odeur de chou pourri, on va être forcé de faire avec.