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Grande cause nationale : beaucoup de bruit pour rien ?
vendredi, 11 janvier 2013 / Alexandra Bogaert

La Grande cause nationale 2013 sera-t-elle l’illettrisme, le suicide, les accidents domestiques ? A Jean-Marc Ayrault de trancher pour savoir qui va bénéficier d’espaces médiatiques gratuits. Et entrer dans un véritable système D.

Quelle cause deviendra « Grande » en 2013 ? Quel sujet de société dramatique, quelle problématique médicale de grande ampleur, porté(e) par un organisme ou un collectif d’associations obtiendra le label « Grande cause nationale » cette année ? Le dépôt des candidatures auprès de Matignon sera clos le 15 janvier prochain, pour une attribution dont la date n’est pas encore fixée. La liste exhaustive des postulants n’est pas encore connue mais l’illettrisme, les accidents domestiques et la prévention du suicide sont en lice.

Mais en lice pour quoi ? Pour bénéficier, le temps d’une année, de diffusions gratuites de messages sur les radios et les télévisions publiques, afin de mettre en avant la cause défendue et de la faire connaître largement du public.

De la visibilité à moindres frais

« C’est une sorte de patronage de haut niveau. Il revient au Premier ministre de choisir la cause à laquelle il veut donner un relief particulier », explique-t-on à Matignon. Tout en précisant, avec insistance, qu’« il ne s’agit pas d’une politique publique » qui engagerait le gouvernement à prendre des mesures en faveur de la cause. D’ailleurs, l’obtention du label n’est pas doublée de subventions publiques. Pas un centime de l’Etat n’est censé être déboursé. « C’est déjà arrivé sous d’autres gouvernements », précisent toutefois les services de Jean-Marc Ayrault, qui n’ont pas prévu de nouvelles exceptions à la règle. Attendre davantage de la Grande cause que de la visibilité à moindres frais, c’est risquer d’être terriblement désappointé.

Certaines parties prenantes de la Grande cause 2012, l’autisme, en ont fait l’expérience. « On a vu plein de familles très déçues. Elles ont eu l’impression que la Grande cause n’a servi à rien car le gouvernement n’a pas pris de décret ou fait voter de loi et ne s’est pas non plus engagé à créer de nouvelles places d’accueil pour les enfants autistes », explique Florent Chapel, un porte-parole du collectif Ensemble pour l’autisme. « En fait, obtenir ce label, c’est comme être choisi pour accueillir les JO : c’est bien, mais c’est à vous de vous débrouiller pour construire le village olympique, créer les infrastructures. Certains s’en sortent très bien. Pour d’autres, c’est très difficile de financer », poursuit-il.

Zéro centime de l’Etat... normalement

C’est justement parce que « Ensemble pour l’autisme » est « pauvre comme Job » que certains ministères ont, à titre exceptionnel, attribué 100 000 euros au collectif afin qu’il puisse financer ses actions de sensibilisation. Ces contributions financières restent exceptionnelles. Car avoir les moyens de s’offrir les services d’agences de communication et de production pour réaliser les spots télévisés ou les messages de sensibilisation auprès du grand public est normalement une des conditions de base à remplir pour prétendre au label.

Bruno Dardelet, ex-président de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, l’a appris quand il est devenu la figure de proue du collectif d’associations qui a porté la solitude au rang de Grande cause nationale. C’était en 2011. Mais dès l’année précédente, il a été aiguillé par un conseiller de François Fillon, à Matignon. « Il m’a dit : “je trouve que c’est une bonne cause, je vais vous aider à monter le dossier” », se remémore Bruno Dardelet. Pendant des mois, ils se sont rencontrés pour préparer la candidature.

Elargissement des soutiens (le collectif a au final regroupé 25 associations), mise sur la table d’un minimum de fonds propres pour garantir la réalisation de la campagne de communication (120 000 euros), ambitions limitées (« on ne demandait au gouvernement ni loi, ni décret, on voulait juste faire connaître notre cause ») : l’équation a été gagnante.

Comment obtenir gain de cause ? Etre débrouillard

« Pour l’emporter, il faut être un bon vendeur de la cause - qui se vend comme une savonnette -, il faut avoir un peu de sous et se battre. Mais, une fois que c’est fait, il faut aussi jouer le jeu avec le gouvernement », reconnaît Bruno Dardelet. Sept ministres ou secrétaires d’Etat du gouvernement Fillon ont associé leur image aux actions du collectif contre la solitude. En contrepartie, le gouvernement a suggéré à l’agence de communication TBWA, avec laquelle il était sous contrat, de faire une action de mécénat à l’égard de la Grande cause. TBWA en a gratuitement géré la communication. « Si on avait tout payé au prix normal, ça nous aurait coûté deux millions d’euros », précise Bruno Dardelet.

« Quand on obtient le Saint Graal de la communication d’intérêt général qu’est le label et qu’on n’est pas riches, il faut être débrouillard », abonde Florent Chapel, père d’un enfant autiste et directeur de l’agence de communication LJ Corporate. Son agence a accompagné bénévolement la Grande cause 2012 pendant un an. Résultat : des heures de travail gratuit mais des retombées médiatiques inattendues, avec trois documentaires sur l’autisme diffusés sur des chaînes publiques et 2 500 retombées de presse.

Surfant sur cette visibilité, l’association Vaincre l’autisme - qui n’a pas souhaité faire partie du collectif d’associations « Ensemble pour l’autisme » – a lancé l’an dernier « 2012, année de l’autisme », vaste démarche de communication parallèle à celle de la Grande cause. M’Hammed Sajidi, président de l’association, estimait que le label ne donne pas assez de moyens ni même de visibilité à la cause. Une mise en avant pas très bien perçue par le collectif. « Le principe de la Grande cause, c’est de faire parler de la cause, pas d’une association en particulier. Pour l’ego, c’est horrible », admet Florent Chapel. Mais pour la cause, c’est tout bénéf.


Les grandes causes

Le label Grande cause nationale, créé en 1977, a déjà été attribué au cancer (à cinq reprises), au sida (à trois reprises), à la recherche médicale, à la pauvreté, au handicap, à la maladie d’Alzheimer, à l’enfance maltraitée, etc. Des organismes comme la Fondation de France (en 1978 et 1983) ou le Secours populaire français (1991) en ont également bénéficié.