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Le vrai bilan de Kyoto
mercredi, 28 novembre 2012
/ L’usine à GES / La lettre des professionnels du changement climatique |
Pendant que des experts dissertent, à Doha (Qatar), des meilleurs moyens de conclure un traité international susceptible de succéder au protocole de Kyoto, L’Usine à GES fait le (premier) bilan de ce dernier.
Signé en décembre 1997 dans l’ancienne capitale japonaise, le protocole de Kyoto comble un sérieux manque de la Convention cadre de l’ONU sur les changements climatiques. Enfantée lors du second Sommet de la Terre, en 1992, la Convention ne fixe qu’un seul but à la collectivité mondiale : « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. » Mais pour l’atteindre, le texte préconise que les pays les plus industrialisés stabilisent, en dix ans, leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Sans plus.
Pour accélérer un peu le mouvement, les diplomates remettent l’ouvrage sur le métier. Et, après des dizaines d’heures de négociations épiques (avec Al Gore, en guest star surprise), ils finissent par accoucher dans la douleur d’un protocole un peu plus audacieux que la Convention. En 22 pages, l’opuscule fixe des objectifs quantifiés d’émissions pour la période 2008-2012 (dite « première période d’engagement ») à une trentaine de pays, réputés responsables du changement climatique puisque ayant démarré leur industrialisation avant tout le monde. Pour faciliter les choses, il prévoit aussi quelques « mécanismes de flexibilité » : des systèmes de quotas d’émissions échangeables entre différents types d’acteurs (Etats, entreprises, etc.).
Au 31 décembre 2012, la première période d’engagement dudit protocole touchera à sa fin. C’est l’occasion d’établir un premier bilan de son application. Etant entendu que les résultats définitifs ne seront connus qu’à la fin 2014, lorsque les statistiques d’émissions 2012 seront publiées. Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite révision s’impose.
Comment ont été fixés les objectifs ?
Ils ont, bien évidemment, fait l’objet d’intenses discussions. Chaque pays essayant de se voir fixer les objectifs les moins difficiles à atteindre. L’ONU prend, comme base de calcul, les émissions de six GES (CO2, méthane, protoxyde d’azote, HFC, PFC et SF6), comptabilisées en 1990, et applique les objectifs édictés par le protocole. Selon la situation économique des pays, ces objectifs vont de la stabilisation des émissions (cas de la France), à la baisse (la Hongrie) ou à une forte hausse (le Portugal). Autre façon de voir les choses, 37 pays « concernés » devront, collectivement, baisser de 5% entre 1990 et 2012.
Comment va-t-on vérifier les résultats ?
Chaque pays de l’annexe 1 est tenu d’envoyer à l’ONU deux inventaires annuels d’émissions (l’un au titre de la Convention, l’autre au titre du protocole). Ces rapports doivent être rédigés selon une méthodologie très précise, rendant la triche risquée. En 2011, la Roumanie et l’Ukraine ont été ainsi exclues de l’un des mécanismes de flexibilité pour avoir truandé leurs statistiques nationales. Les pays de l’annexe 1 se sont vu allouer par l’ONU des unités de quantités attribuées (UQA) pour les années 2008-2012. Chacune de ces UQA correspond à une tonne de GES que le pays pourra émettre durant la première période d’engagement. La France, par exemple, pourra « rejeter » 2,8 milliards d’UQA durant ces cinq ans, soit, en moyenne, 563,9 millions de tonnes équivalent CO2/an (MtéqCO2/an).
Que se passe-t-il en cas de dépassement de l’objectif ?
En cas de manquement caractérisé aux engagements, un Etat pourrait être sanctionné par la Chambre d’exécution du protocole. Les accords de Marrakech – qui établissent, depuis 2001, le mode d’emploi du protocole – prévoient un durcissement de l’objectif de réduction pour la seconde période d’engagement (non encore fixée).
Comment L’Usine à GES a-t-elle établi son bilan ?
Globalement, nous suivons la méthode onusienne : même année de référence, mêmes données, mêmes objectifs à atteindre. Seule différence avec le travail que mèneront les gendarmes du protocole, nous n’avons pas pris en compte les UQA utilisées entre 2008 et 2010. Notre postulat étant que les résultats pour 2011 et 2012 devraient se situer dans cette tendance. Autre singularité, nous prenons toujours en compte les données américaines, bien que Washington n’ait pas ratifié le Protocole.
Sur le plan climatique, en revanche, la tendance reste à la hausse. Durant les deux décennies du protocole de Kyoto, la concentration dans l’atmosphère de CO2 a bondi de 10,3%. Les rejets anthropiques de CO2, rappelle l’agence néerlandaise d’évaluation de l’environnement (PBL), sont passés de 22,3 milliards de tonnes par an, en 1990, à 33 milliards de tonnes : +45,37%. Un chiffre qui reflète à lui seul la soif de développement des grands pays émergents. La Chine a vu quasiment quasiment quadrupler ses émissions de dioxyde de carbone. Moins grave : les rejets carbonés indiens ont « seulement » triplé. Ceux de l’Arabie saoudite ont plus que doublé. Bref, malgré les efforts (réels ou supposés) des ex-pays les plus industrialisés, la concentration de gaz carbonique a progressé de 2,7%, en moyenne, par an, durant ces vingt ans. En 1990, les pays de l’OCDE et le bloc soviétique étaient à l’origine de 60% des émissions anthropiques de CO2. Désormais, Chine, Inde et les autres émergents « pèsent » 51% du carbone humain. Et la tendance n’est pas près de s’inverser.
Sur le modèle du marché international d’UQA, l’Union européenne a instauré, depuis 2005, un système d’échange de quotas de GES, pour son industrie lourde et l’aviation commerciale. Le dispositif communautaire a été copié par dix Etats du nord-est des Etats-Unis (la Regional Greenhouse Gas Initiative, une initiative régionale visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre), la Nouvelle-Zélande et, plus récemment, par le couple Californie-Québec (la Western Climate Initiative) et l’Australie. A cet égard, l’Australie doit coupler son marché du carbone à celui de l’Union européenne. Les Européens pourront ainsi céder à bon prix, dès 2015, leur surplus de quotas (plus d’un milliard) aux industriels australiens. Dans les toutes prochaines années, une demi-douzaine de grandes agglomérations chinoises, ainsi que la Corée du sud, doivent aussi ouvrir leurs marchés de quotas. Lesquels pourraient, à terme, tisser des liens avec le marché tokyoïte, encore en rodage. Bref, si Kyoto n’a pas tenu toutes ses promesses, il a sans doute jeté les bases de marchés régionaux du carbone. Ce qui n’est déjà pas si mal. Mais ce qui ne devrait pas éviter au mercure de faire un bond de 4 °C d’ici à la fin du siècle, si l’on en croit une récente étude du consultant PricewaterhouseCoopers. Sauf, bien sûr, si l’on réussit la transition énergétique. Ça, c’est une autre histoire…
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