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Jean Jouzel : « Nous sommes en train de jouer avec le feu »
mercredi, 28 novembre 2012 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Le climatologue Jean Jouzel est partout. Appelé à jouer les experts à Doha pour la conférence du climat, il pilotera les débats sur la transition énergétique en France. Présent au cœur des instances de décision, il se dit pessimiste sur les changements qui s’annoncent.

Jean Jouzel est climatologue, membre de la délégation ministérielle française pour la conférence sur le climat de Doha (COP18) (Qatar), et du Comité de pilotage du débat sur la transition énergétique.

Terra eco : Vous serez présent à Doha. Que peut-on attendre de cette conférence ?

Jean Jouzel : Si l’on est optimiste, on peut espérer qu’elle sera le point de départ d’un nouvel accord international qui sera signé en 2015 et entrerait en vigueur en 2020 et qui engagerait l’ensemble des pays (le protocole de Kyoto n’engageait lui que les pays développés, ndlr). On peut aussi espérer qu’à cette conférence, on se donnera plus d’ambitions pour la décennie qui vient, avant l’entrée en vigueur de ce nouvel accord.

Et si l’on est pessimiste ?

On peut d’abord craindre qu’il ne se passe pas grand chose jusqu’en 2020. Pour l’instant, tout le monde souscrit à l’idée qu’il faut réduire rapidement nos émissions, mais les mesures prises ne sont pas du tout à la hauteur. Or, le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) vient de calculer que notre « emission gap » (l’écart entre les mesures annoncées et les mesures qu’il faudrait prendre pour rester en dessous d’une hausse moyenne de la température mondiale de 2°C, ndlr) est de 20%. Il faut donc agir et vite. Par ailleurs, les négociateurs ont tendance à se concentrer sur l’idée qu’il faut tout faire pour signer un accord en 2015. Mais il faut d’abord et avant tout travailler pour que cet accord soit contraignant !

Quel est votre point de vue, personnellement ?

Je suis un peu désespéré à la lecture des récents rapports du PNUE et de la Banque mondiale, mais j’en épouse les conclusions. Il est clair que nous sommes en train de jouer avec le feu, et je suis assez pessimiste sur notre capacité à maintenir le réchauffement climatique à +2°C.

A Doha, les négociateurs vont travailler à la signature d’un texte qui n’entrerait en vigueur au mieux qu’en 2020. On se dit que l’idée de conclure un accord international et juridiquement contraignant est peut-être une solution impossible ?

C’est vrai que les engagements contraints ne sont pas suffisants. Mais quelle est l’alternative ? On pourrait dire aux Etats de s’engager de manière volontaire, mais c’est déjà ce que l’on fait aujourd’hui ! Et il faut bien constater que ces engagements volontaires sont encore plus limités que les engagements contraints. Les Etats-Unis se sont engagés à réduire leurs émissions de seulement 3% d’ici à 2020 par rapport à 1990. Il n’y a peut-être que la Chine qui a commencé à inverser la tendance.

Quel est le principal levier de réduction pour les Etats ?

Plus des trois quarts des émissions sont dues aux combustibles fossiles. Les émissions de méthane et de protoxyde d’azote ou encore la déforestation sont loin d’être négligeables mais il est évident que c’est le secteur fossile qui est le plus responsable du changement climatique. La solution passera par la transition énergétique.

Justement, vous allez faire partie du Comité de pilotage du débat sur la transition énergétique. La France est-elle engagée dans la bonne direction ?

J’ai accepté de faire partie du Comité de pilotage pour témoigner sur la question climatique et rappeler l’urgence. Nous avons beaucoup discuté avec les autres membres, et nous avons tous envie d’un débat ouvert et transparent. La France a besoin d’un grand débat de ce type.

C’est ce qui a manqué au Grenelle de l’environnement ?

Non, je ne crois pas. Dès le début du Grenelle, nous avons collectivement adopté l’idée que la France avait besoin d’un facteur 4 (diviser par 4 les émissions d’un pays d’ici à 2050, ndlr). Je continue à penser que les mesures décidées au moment du Grenelle allaient dans le bons sens. Certaines souffrent seulement de ne pas avoir été mises en place. Je ne vois pas le Grenelle comme quelque chose de perdu mais comme quelque chose à poursuivre. C’est le rôle de ce nouveau débat que de s’inscrire dans cette lignée.


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