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Obsolescence programmée : et si le problème, c’était vous ?
vendredi, 16 novembre 2012 / Damien Ravé /

Damien Ravé est créateur de sites Web passionné d’écologie et fondateur de Commentreparer.com.

Le concepteur du site Commentreparer.com juge trop simpliste la théorie de l’obsolescence programmée. Et appelle les consommateurs à s’interroger sur leurs habitudes.

Depuis un an et demi que le grand public a appris la difficile expression obsolescence programmée, il ne se passe pas un jour sans qu’un journaliste, un blogueur ou des citoyens dénoncent l’affreux complot des industriels.

On nous vole ! La désuétude planifiée de nos appareils serait le résultat d’une machiavélique machination ourdie dans les années 1920 par une société secrète au nom déjà lourd de menaces : le cartel Phœbus (entente entre les fabricants d’ampoules pour limiter leur durée de vie à 1 000 heures au lieu de 2 000 ou plus). Depuis, les industriels auraient systématisé le procédé en truffant les appareils électroniques de bombes à retardement, telle cette imprimante qui refuse de fonctionner en annonçant que sa cartouche est vide alors qu’elle contient encore de l’encre.

Arnaque organisée ?

D’ailleurs, tout le monde a pu le constater : les appareils électroménagers d’aujourd’hui durent beaucoup moins longtemps qu’ à l’époque de nos grands-parents. Une télé pouvait durer trente ans, maintenant c’est plutôt cinq avant qu’un condensateur défectueux ne la rende prématurément inutilisable. Mais ce n’est pas très grave parce qu’on est contents de racheter un modèle plus grand, plus beau, plus coloré. Mais le pire c’est qu’il faut aussi remplacer son frigo, sa machine à laver, son four tous les huit ans alors qu’avant, ils vivaient des décennies. Et ne parlons pas des bouilloires, radios-réveils et autres appareils qui tombent toujours en panne le lendemain de la fin de la garantie, c’est systématique. Bref, tout le monde peut être témoin de cette arnaque généralisée qu’est l’obsolescence programmée, sciemment mise en œuvre par les industriels qui nous prennent pour des vaches à lait.

Oui mais... si la thèse du complot est simple à comprendre, elle est plutôt compliquée à justifier. Elle pose quelques problèmes.

Un mythe ?

L’obsolescence programmée est peut-être bien un mythe, comme l’affirme l’économiste Alexandre Delaigue. On peut expliquer la durée de vie réduite de nos appareils beaucoup plus simplement : par leur faible prix. Le Gifam (syndicat de fabricants électroménagers) indique que les prix à la vente de l’électroménager ont baissé de 22% entre 2002 et 2010. Quant à l’informatique, on a pu voir (selon un rapport canadien) une baisse de 84% des prix sur la même période (-54% sur les écrans, - 61% sur les imprimantes). Nos produits sont donc moins chers, mais ça n’explique pas pourquoi ils durent moins longtemps.

La raison est probablement à trouver dans la recherche incessante des coûts les plus bas par les fabricants. Car sur le marché de l’électronique (notamment sur le gris : télés, ordinateurs, gadgets technologiques), la forte demande suscite une forte concurrence qui tire les prix vers le bas. Et pour vendre toujours moins cher (et donc toujours plus de volume), les fabricants doivent réduire autant que possible le coût de revient de chaque appareil qu’ils produisent.

Ce coût de revient est constitué essentiellement de main-d’œuvre et de composants. Côté main-d’œuvre, on sait ce qu’il en est : délocalisation en Asie du Sud-Est, automatisation, conditions de travail proches de l’esclavage. Côté composants, on va aussi s’efforcer d’acheter des circuits et matériaux les moins chers possibles, leurs coûts baissant également à mesure que leur fabrication est elle-même réalisée dans ces pays d’Asie où les ressources minières et la main d’œuvre sont abondantes et bon marché. Cette recherche de coûts bas, c’est la contrainte économique.

De l’autre côté, les fabricants sont tenus à une autre contrainte, légale celle-ci : la durée de garantie (par ex. la garantie légale de conformité chez nous). Selon les appareils et les pays, elle est plus ou moins longue (et les subtilités de son application sont parfois complexes). Les fabricants vont s’efforcer de faire durer leurs produits pendant la durée de garantie pour minimiser les retours de produits défectueux qui coûtent cher.

D’où l’équation suivante :

Mettons-nous à la place de l’ingénieur à qui l’on donne ce cahier des charges :

1/ tu dois concevoir une télévision qui fonctionne dans des conditions normales pendant au moins deux ans dans 99% des cas

2/ tu dois employer pour ce faire les composants les moins chers possibles

Notre ingénieur va donc choisir et agencer des composants qui doivent durer au minimum 2 ans et 1 jour, mais pas forcément plus. Il pourrait choisir des condensateurs prévus pour durer 3 ans, 5 ans ou 10 ans, mais d’une part ce n’est pas son cahier des charges, et surtout ces composants vont coûter plus cher. Ce n’est peut-être que 10 centimes, mais s’il prenait un modèle plus durable, ce ne serait plus le moins cher possible.

C’est un constat énervant quand on se dit que la télévision à 400 euros qui vient de vous lâcher aurait tenu trois ans de plus si on avait dépensé 10 centimes de plus pour ce condensateur. Mais il faut remettre cette économie à l’échelle du téléviseur dans son ensemble : c’est l’ensemble des centimes économisés sur chacun des centaines de composants qui le constituent qui vous ont permis de le payer 400 euros au lieu de 600.

Je ne suis pas assez riche pour acheter bon marché

On pourrait exiger l’affichage des durées de vie prévues par les fabricants, au même rang que la classe énergétique et autres infos environnementales. On saurait pour combien de lavages est prévue cette machine à laver, ou combien d’heures cette télévision est censée pouvoir rester allumée. Du reste, c’est obligatoire pour les fabricants d’ampoules. Pourquoi pas tous les autres ?

L’Ademe l’a demandé aux fabricants, qui s’y opposent bec et ongles. On les comprend : admettre publiquement que les produits sont majoritairement conçus pour durer un jour de plus que la garantie légale, ce ne serait pas bon pour l’image. Surtout, la baisse des prix continue qui dope les ventes et les taux d’équipement (notamment auprès des ménages les moins aisés) serait moins spectaculaire si l’on pouvait mesurer le coût de revient d’un appareil qu’il faut remplacer plus souvent. On pourrait vérifier l’adage : je ne suis pas assez riche pour acheter bon marché.

Cette solution aurait l’avantage de laisser le choix au consommateur en lui donnant l’information qui lui manque aujourd’hui pour acheter en connaissance de cause : ainsi on pourrait choisir de payer 15% plus cher une machine qui durera 30% plus longtemps. Après une ou deux années, on verrait le marché se segmenter en gammes selon la durée de vie, et l’on pourrait voir dès le milieu de gamme une concurrence entre les fabricants sur la durée de vie, comme actuellement sur la classe énergétique qui tend vers le A+.

Une piste plus simple à mettre en œuvre, et plus contraignante, consisterait à augmenter les durées de garantie légale des produits, jusqu’à cinq ans, voire dix ans (notamment sur le blanc : machines à laver, réfrigérateurs, etc.). Mais on entend d’ici l’argument des lobbies de fabricants : les prix de vente vont augmenter considérablement. En tout cas, leurs coûts seraient augmentés, inévitablement. Et nul doute qu’ils en répercuteraient une partie sur le prix de vente. Le sujet a été évoqué, mais reste bloqué jusqu’à nouvel ordre.

Une demande est en train d’émerger

Un espoir apparaît néanmoins : celui qu’une demande émerge de la part des consommateurs. A mesure que s’organise le débat sur la durée de vie, que l’expression obsolescence programmée devient populaire, et que croît le mécontentement de certains consommateurs las de cette course au remplacement, il se pourrait qu’émerge une vraie demande pour des produits durables.

Or dans nos sociétés capitalistes, toute demande appelle une offre. Il y a fort à parier que le thème de la durabilité, oublié depuis de nombreuses années (dans les années 1980, Brandt avait pour slogan “conçu pour durer”) va ressurgir et que des fabricants vont s’en emparer pour promouvoir leurs nouveaux produits plus fiables (avec probablement une bonne dose de durable-washing à venir, ne soyons pas naïfs). Un tel mouvement pourrait faire évoluer les comportements des consommateurs plus que toutes les campagnes de sensibilisation des associations.

Un avant goût ? Le spécialiste français du café Malongo surfe sur cette vague (mais également sur le local franco-français, en plus de ses thèmes habituels : commerce équitable, écologie) avec sa nouvelle cafetière Ek-Oh. Espérons que ce cas ne restera pas isolé...

- Cet article a initialement été publié sur le blog de Commentreparer.com