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Accès aux soins : «  On constate une dégradation de la situation pour les plus précaires  »
jeudi, 8 novembre 2012 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Jean-François Corty, directeur des missions France à Médecins du monde, déplore les lacunes du système de santé pour les plus pauvres : baisse des remboursements, absurdités administratives, insuffisance des infrastructures…

Jean-François Corty est directeur des missions France à Médecins du monde.

Terra eco : Comment brosseriez-vous le tableau de l’accès aux soins pour les plus démunis ?

Jean-François Corty : Ce que l’on constate, c’est une dégradation continue de la situation pour les plus précaires, qu’il s’agisse des étrangers sans papiers, en cours de régularisation ou des Français. On a de plus en plus de demandes dans nos centres. Depuis quatre ou cinq ans, on le voit, les gens retardent leur recours aux soins. 30 % des Français renoncent ainsi à des soins ophtalmologiques ou dentaires.

Pourquoi ces retards ?

C’est parfois administratif pour les patients en situation irrégulière. L’Aide médicale de l’Etat (AME) leur permet d’accéder aux soins, mais il faut justifier de trois mois de présence territoriale et d’une domiciliation. Alors quand on n’a pas de logement fixe… Il y a aussi la barrière de la langue. Pour les « nouveaux pauvres » français, c’est le problème du « reste à charge » qui retarde les soins. Les médicaments sont moins remboursés, les frais de déplacement aussi. Quand vous êtes une personne âgée et que vous n’avez pas de voiture, c’est difficile quand le taxi est moins remboursé. Et puis, 4 millions de Français n’ont pas de mutuelle. Du coup, on a des effets de seuil. Pour toucher la CMU-C (la couverture maladie universelle complémentaire donne droit à la prise en charge gratuite de la part complémentaire des dépenses de santé, ndlr), il faut avoir des revenus inférieurs à 630 euros par mois. Si on touche 700 euros, on n’y a pas droit alors qu’on est sous le seuil de pauvreté. Enfin, l’autre élément qui concourt au retard du recours aux soins, c’est l’insuffisance des permanences d’accès aux soins de santé (Pass) à l’intérieur des hôpitaux. La loi de 1998 contre les exclusions prévoyait qu’il y en ait 500. Il n’y en a que 400. Et certains sont très peu fonctionnels. Il y a encore les dépassements d’honoraires. Ce n’est pas le problème principal, mais quand les gens n’ont pas d’alternative, c’est une barrière à l’accès aux soins.

Que faire dans ces conditions ?

Il faut simplifier l’accès aux dispositifs. Aujourd’hui, il faut certains papiers pour avoir le droit de toucher l’AME, d’autres pour la CMU, d’autres encore pour la CMU-C. Ça va dans tous les sens. Il faut fusionner l’AME et la CMU et permettre un accès universel à la santé. Il faut aussi relever la CMU-C au niveau du seuil de pauvreté, augmenter le nombre de Pass, élargir leurs heures d’ouverture, s’assurer qu’ils font du médico-social, etc.

Nous sommes au milieu d’une crise économique majeure et ces réformes coûtent cher…

Non, pas forcément. Supprimer, en juillet dernier, les 30 euros obligatoires pour bénéficier de l’AME, ça revenait pour l’Etat à renoncer à 6 millions d’euros. Mais conserver cette barrière aurait coûté 20 millions d’euros en retard de recours aux soins. De la même manière, supprimer le délit de racolage qui éloigne les prostituées des lieux d’accès aux soins et les obligent à se mettre dans des situations dangereuses ne coûte rien. Mettre en place des salles de consommation pour les usagers de drogue qui permettront de limiter les risques, notamment de transmission de l’hépatite C, pourrait là aussi coûter moins cher. A terme, pour l’économie d’un pays, il est important d’avoir une population en bonne santé. Plus on tarde à prendre en charge les pathologies, plus les coûts sont lourds. —




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