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Bic crée le jetable durable… Et demain on rase gratis ?
jeudi, 27 septembre 2012 / Emmanuelle Vibert

Mine de rien, le géant français tente un coup de force : faire passer ses stylos et ses lames éphémères pour des modèles de produits écolos ! Mais jouer la transparence et distiller quelques écogestes ne garantit pas une com au poil.

C’est sûr, se présenter comme le roi du jetable pendant près d’un demi-siècle puis afficher des prétentions écolos quand la mode du durable est venue, ça ressemble à un grand écart. Mais la figure ne fait pas peur à Bic ! Le groupe français commence à parler « développement durable » en 2003. Et, pour la dernière-née de ses campagnes de com sur le sujet, la marque la joue factuel et propose une « initiative d’information environnementale pour ses rasoirs ».

Sur un site Internet dédié (1), on découvre des pictogrammes sur les émissions de gaz à effet de serre, l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et la consommation d’eau de ses rasoirs Bic Flex 3 et du Bic Flexi Lady. Suffisant pour convaincre que si, si, on peut faire du jetable… durable ? Ça reste à voir.

Stratégie

Le groupe créé en 1945 est aujourd’hui présent dans 160 pays à travers le monde. Il vend, chaque jour, 46 millions de produits, dont 25 millions d’articles de papeterie, 10 millions de rasoirs, 6 millions de briquets et 5 millions de produits publicitaires. On n’ose même pas calculer le total sur une année. Bon, d’accord, on essaie quand même : cela donne 16 milliards 790 millions d’objets vendus par an. Et tout autant de jetés ! Cela fait-il de Bic le roi du jetable irresponsable ?

Dans son rapport développement durable 2011, la marque invite à « dépasser l’opposition jetable/durable » : « Les produits Bic sont souvent qualifiés de produits “ jetables ”. Sans être tous rechargeables, ils ne sont pas pour autant à usage unique. Bien au contraire, ils offrent pour la majorité d’entre eux une longue durée d’utilisation : jusqu’à 2 km d’écriture pour un stylo, 3 000 flammes pour un briquet et 7 à 10 rasages pour un rasoir. »

Et, pour convaincre de sa bonne foi, la marque aligne les initiatives : 2008 voit naître Bic Ecolutions, une gamme composée d’un rasoir avec un manche en « bioplastique » et d’articles de papeterie (stylo à bille, crayon graphite, ruban correcteur) fabriqués – en partie – avec des matières recyclées. En 2009, il reçoit le label NF Environnement pour sept de ses produits (stylos, crayons). En 2010, il invente le rasoir recyclable et le promeut à la télé via l’image d’Eric Cantona. Un flop : le public ne suit pas et Bic abandonne la démarche. Mais, en 2011, c’est un programme de collecte et de recyclage des stylos qui est lancé, en partenariat avec l’entreprise TerraCycle. En 2012, c’est donc « l’information environnementale » qui est à l’honneur.

Cas d’école

Le travail a commencé par une analyse de cycle de vie (ACV) menée par la société spécialisée Evea. Elle indique que l’existence d’un Flex 3 pèse 25,1 g de CO2, 4 litres d’eau et 0,203 g en équivalent antimoine, l’unité de mesure pour l’épuisement des ressources naturelles. Et celle d’un Flexi Lady ? Presque autant. On y découvre aussi que les rasoirs sont fabriqués en Grèce, puis transportés par camion en France. Enfin, en répondant à un quiz, on sait tout sur la façon de « se raser responsable », en « baissant la température de l’eau de 2° C », en « nettoyant les lames du rasoir après chaque rasage (avec de l’eau froide) ». Et après, me direz-vous ? Une ACV et quelques conseils écolos peuvent-ils suffire à convaincre que Bic contribue « à l’émanation d’un modèle économique plus respectueux de l’environnement », selon les mots de Bruno Bich, président du conseil d’administration, dans le rapport développement durable 2011 ? Mouais… Trouve-t-on plus de billes dans ledit rapport ? On y déniche des objectifs intéressants : en 2013, 80 % des salariés du groupe travailleront dans des usines certifiées ISO 14 001 contre 66 % en janvier 2011. Mais beaucoup d’autres sont plus minimes : en 2013, le poids moyen d’emballage sera réduit de 2 % par rapport à janvier 2011, la consommation d’énergie de 3 %, celle d’eau de 3 %, celle de déchets non recyclés de 1 %.

Verdict

L’information factuelle devrait être la norme en matière de com écolo. Alors, quand on se lance dans l’affichage environnemental, on est forcément sur la bonne voie. Mais cette tentative manque singulièrement de précisions. Il en faudrait beaucoup plus pour convaincre que Bic est devenu alchimiste et peut transformer le jetable en durable. —

(1) Le site de Bic


Avis de l’expert : 3/5

Alexandre Legendre, de l’agence de communication responsable et solidaire [id-pop]

« Multinationales et développement durable, pour le grand public, ça ne fait pas plus bon ménage que produits jetables et consommation responsable. Après une communication très “ verte ”, Bic a pris la voie du factuel. C’est plutôt réussi avec une information simple, dans le respect des règles de l’affichage environnemental et une méthodologie explicite. Il manque néanmoins une comparaison “ avant/après ” et on perd en lisibilité sur les actions mises en place. Mais le gros du travail n’est-il pas avant tout du côté des consommateurs ? »

- Le site de l’Agence de communication id-pop