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OGM, nucléaire : sommes-nous « tous cobayes » ?
lundi, 24 septembre 2012 / Anne de Malleray

Oui, selon Jean-Paul Jaud. De Fukushima au laboratoire du professeur Séralini, où il a filmé les dessous de l’étude « choc » sur les OGM, le réalisateur dénonce le risque de contamination irréversible du vivant que font courir ces deux technologies.

Tout a commencé en 2009, sur le tournage de Severn, la voix de nos enfants, le second documentaire de Jean-Paul Jaud, auquel participait le biologiste Gilles-Eric Séralini en tant qu’expert fondateur du Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique). « Il est venu me voir en me demandant si je voulais réaliser un film sur l’expérience inédite menée dans son laboratoire de Caen. C’est de là qu’est partie l’aventure », raconte le réalisateur. Pendant deux ans, les chercheurs ont mesuré les effets sur 200 rats d’un régime à base d’OGM NK 603, associé à du Round Up, herbicide auquel la plante est résistante.

Une bombe médiatique

L’étude porte sur toute la durée de vie des rongeurs, contrairement à celles menées par les gouvernements et les industriels qui se limitaient jusqu’ici à trois mois. Or, c’est bien après ces quatre vingt dix jours fatidiques que les ennuis commencent. A l’écran, les images sont saisissantes : des rates affectées par des tumeurs mammaires atteignant 25% de leur poids, des rats développant des nécroses du foie et des pathologies rénales sévères. Au bout de deux ans, 50% à 80% des femelles nourries aux OGM sont malades contre 30% chez celles qui n’en ont pas consommé. Tous cobayes ? raconte les dessous de cette étude secrète, nom de code, « In Vivo », réalisée grâce à des semences OGM récupérées clandestinement auprès d’un lycée agricole canadien puisque Monsanto refuse de les mettre à disposition des chercheurs.

La parution de l’étude, le 19 septembre dernier, révélée par Le Nouvel Observateur a fait l’effet d’une bombe. Depuis, les critiques fusent. Des quatre coins du planisphère, des scientifiques – certains indépendants, d’autres moins – critiquent le protocole et les résultats de l’étude. Néanmoins le scientifique a réussi une chose : alerter les autorités et lancer de nouvelles recherches.


"Tous cobayes" par Terraeconomica ©J+B Séquences

Dans son film, si Jean-Paul Jaud donne largement la parole à Gilles-Eric Séralini, qui a eu le « final cut » et à Corinne Lepage, députée européenne et co-fondatrice de la Criigen, son propos déborde du cadre du laboratoire pour suivre une logique plus sensible que scientifique. « Mon regard n’est pas celui d’un journaliste d’investigation, mais celui d’un cinéaste qui fonctionne à l’affect, un citoyen engagé », revendique-t-il. « En mars 2011, a eu lieu l’explosion à Fukushima. En juin, je devais aller présenter Severn à Tokyo. Nous avons décidé d’aller filmer là-bas. » Nucléaire et OGM, même combat contre l’opacité, le manque d’expertise indépendante, l’irréversibilité de l’impact sur le vivant. « Je n’ai rien contre ces technologies dans l’espace confiné d’un laboratoire, mais c’est de la folie, alors qu’on ne les maîtrise pas, de les lâcher dans la nature. »

Cobayes des labos et cobayes des champs

Accompagné de Michèle Rivasi, députée européenne et co-fondatrice de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), il part à la rencontre des paysans de la zone contaminée de Fukushima constater les dégâts irréversibles sur leurs terres, les taux de contamination dangereux sur des zones encore habitées et l’impréparation du gouvernement. En France, il recueille les témoignages d’agriculteurs malades de leur travail, victimes de cancers et d’intoxications aux pesticides et de dockers du port de Nantes, qui déchargent des tonnes et des tonnes de soja OGM équipés d’un simple masque anti-poussière. Entre les cobayes du laboratoire et ceux du dehors, le réalisateur tisse un lien de cause à effet auquel la prudence scientifique souscrit encore timidement, malgré l’explosion de pathologies d’origine environnementale.

Pourquoi superposer à la sortie d’une étude majeure un regard cinématographique, au risque de brouiller les cartes ? D’abord, pour la transparence et le droit à l’information des citoyens. Ensuite, pour le pouvoir des images. Tous cobayes ? rappelle que le débat sur les OGM est scientifique, mais aussi politique et économique. Les alternatives existent, comme le montre une scène où Olivier de Schutter, rapporteur spécial à l’ONU pour le droit à l’alimentation, présente son rapport sur les bénéfices des modèles d’agroécologie à grande échelle.

Le cinéma, une arme puissante

Jean-Paul Jaud donne la parole à ceux qui les mettent en pratique avec un bonheur manifeste, dans les exploitations biologiques bretonnes ou dans une école d’agroécologie sénégalaise. « J’ai été sidéré de voir combien de parents, de municipalités, d’agriculteurs, ont changé après la sortie de Nos enfants nous accuseront. (son second documentaire, qui a fait près de 300 000 entrées, ndlr) Lénine a dit : “Le cinéma est l’art qui nous importe le plus”. Pourquoi ? Parce que c’est un instrument de propagande. La force du cinéma est immense et toutes les armes sont bonnes pour combattre l’opacité et la dictature d’une minorité qui hypothèque le vivant. Les gens sont intelligents. Ils sauront faire la synthèse. » La guerre est déclarée.


Tous Cobayes ?, un film de Jean-Paul Jaud, J+B Séquences, sortie le 26 septembre.

Bande-annonce : ©J+B Séquences


Calendrier des projections suivies de débats en présence du réalisateur et/ou des intervenants du film à retrouver sur le site de J+B Séquences