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OGM : « Les autorités ne pourront plus dire qu’elles ne savaient pas »
mercredi, 19 septembre 2012 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Des rats nourris pendant deux ans avec un régime à base d’un maïs OGM ont développé d’énormes tumeurs. C’est la trouvaille d’une équipe mandatée par le Criigen. Pour Corinne Lepage, sa présidente d’honneur, les autorités sanitaires auraient dû faire ces expériences depuis longtemps.

Corinne Lepage est présidente d’honneur du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen) et députée européenne (Cap 21).

Terra eco : Pourquoi avoir démarré cette étude ?

Corinne Lepage : Ça a été décidé il y a quatre ou cinq ans au sein du Criigen et Gilles-Eric Séralini a pris la direction scientifique de l’expérience. Il a fallu obtenir les semences, nourrir les rats pendant deux ans et analyser les données de laboratoire. Nous avions une obligation de secret. D’abord parce que quand vous publiez dans une revue « peer reviewed » (ne publiant qu’après relecture par les pairs, ndlr), vous n’avez pas le droit de communiquer avant la publication. La seconde raison c’est qu’on est dans un domaine dans lequel le secret est indispensable. Monsanto interdit que ses semences puissent servir à la recherche. C’est pour ça que dans le livre que j’ai écrit [1], je raconte un véritable thriller. J’explique en quoi c’est inadmissible qu’une petite association comme la nôtre fasse ce travail d’intérêt général et non pas un organisme public payé par la France ou la Commission européenne.

Monsanto ne risque-t-il pas de vous poursuivre en justice ?

Je ne pense pas qu’ils oseraient mais ce serait rigolo.

Vous attendiez-vous à de tels résultats ?

On procédait à des contre-expertises sur les études existantes depuis longtemps. Or, ces études faites sur seulement trois mois montraient déjà des anomalies. On voulait savoir d’où venait le problème. Est-ce que c’était le Round-up (un herbicide commercialisé par Monsanto, ndlr) qui était en cause ou autre chose ? Le problème, c’est que ces anomalies passaient par pertes et profits… En clair et pour répondre à votre question, on s’attendait à trouver quelque chose. Et on s’est rendus compte que les tumeurs anormales étaient très nombreuses. Les images publiées dans le dossier du Nouvel Observateur sont très impressionnantes.

Le problème, c’est que la question des OGM est uniquement abordée sous l’angle environnemental. Par dessus le marché, ceux qui s’y intéressent sont plutôt stigmatisés comme des ennemis de la recherche et du progrès. Nous voulions avoir la démarche complètement opposée. Aujourd’hui, nous pouvons dire : « Les obscurantistes c’est vous, c’est nous qui sommes les chercheurs ».

Pourquoi avoir fait appel à des compagnies de la grande distribution pour financer cette étude ?

Parce qu’on n’avait pas l’argent. Il fallait plusieurs millions d’euros pour faire cette étude. Nous nous sommes tournés vers deux fondations : la Fondation pour le progrès de l’homme qui est totalement humaniste et qui n’a aucun rapport avec le business, et le Ceres (Consommateurs et entreprises responsables, ndlr) qui regroupe l’argent venu de la grande distribution, notamment d’Auchan. Pour moi, c’est logique que ceux qui sont les donneurs d’ordre sachent ce que les gens achètent et consomment. Mais en tout cas, il n’y avait aucune contrepartie. Ils étaient parfaitement neutres. Nous avons fait notre étude en double aveugle, les laborantins eux-mêmes ne savaient pas comment ils nourrissaient les rats. Le labo qui a mené l’expérience était agréé et sans rapport avec les fondations.

Delphine Batho, ministre de l’Ecologie, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, et Marisol Touraine, ministre de la Santé, ont déclaré dans un communiqué qu’ils saisissaient immédiatement l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ?

Tant mieux si l’Anses revoit cette étude ! Encore mieux que la France, il faudrait que l’Europe s’en saisisse. Moi je vais envoyer une lettre à tous les ministères européens pour qu’ils fassent des études systématiques à deux ans sur des rats. Les OGM sont consommés de manière indirecte par les Européens via la viande et le lait des animaux nourris aux OGM. 

Mais puisqu’un lien indirect nous lie aux OGM, l’impact devrait être moins fort sur les humains que celui démontré par votre étude ?

Je ne suis pas en train de dire que les OGM sont très dangereux pour l’homme. Notre étude a porté sur les animaux. Mais ce que je dis c’est que quand on met sur le marché des médicaments, on fait des études sur les rats. Donc les gens qui disent que les études sur les rats n’ont aucune valeur ne sont pas honnêtes. On a absolument besoin d’approfondir les recherches sur les effets des OGM. Maintenant, les autorités ne pourront plus dire qu’elles ne savaient pas. Il faut qu’elles agissent !

Monsanto autorisera-t-il les autorités à tester ses semences ?

Je ne sais pas. Il va falloir que les autorités se posent la question : peuvent-elles laisser circuler des produits sur lesquels la recherche est faite uniquement par la compagnie qui les produit ? C’est un cas unique. En tout cas, je n’en connais pas d’autre.

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