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Gaz de schiste en Pologne : un pétard mouillé ?
vendredi, 31 août 2012 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

On la voyait déjà comme un nouvel eldorado. Manqué. La Pologne ne semble pas avoir les ressources en gaz de schiste escomptées. Pourtant, le gouvernement continue de s’y engouffrer en rêvant à l’autonomie énergétique.

Le Canadien Talisman Energy a annoncé le 8 mai qu’il abandonnait la partie en Pologne pour se concentrer sur les gisements américains ou asiatiques. La compagnie n’aurait pas trouvé assez de gaz en sous-sol pour assurer la rentabilité de ses opérations d’exploration. C’est la deuxième fois en un an qu’un opérateur retire ses billes, menaçant les chances pour la Pologne d’accéder à l’autonomie énergétique dont elle rêvait.

Le rêve, pour une nation, n’est plus ce qu’il était. Il n’a plus la couleur grise des quartiers d’affaires mais la teinte ocre des champs perfusés de puits. Il a toujours, rassurez-vous, l’odeur de l’argent. Et désormais celle, âcre et entêtante, des hydrocarbures de schiste. Grâce à leur exploitation, l’Oncle Sam est devenu le plus gros producteur de gaz au monde en 2009, faisant la nique à son vieil ennemi russe. Aujourd’hui, le gaz de schiste représente même 20% de la ressource américaine en gaz naturel selon le rapport d’un think tank britannique (contre 1% en 2000).

Fastoche, se dit la Pologne. Son rêve à elle prend forme un jour d’avril 2011 lorsque l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) la hisse au rang d’eldorado. Pas moins de 5 300 milliards de mètres cubes de gaz de schiste dormiraient dans ses entrailles, assure-t-elle alors. Assez pour couvrir la consommation en gaz du pays pendant trois cent ans. Le sang des dirigeants ne fait qu’un tour. Des permis sont distribués à la pelle et les opérateurs affluent des quatre coins du planisphère. Moins d’un an plus tard, c’est la déconfiture. En mars 2012, les calculs de l’Institut national de géologie de Varsovie (PIG) et de l’US Geological Survey ramènent les estimations à une fourchette comprise entre 346 à 768 milliards de m3, soit au mieux 7 fois moins que prévu au plus optimiste.

Une trentaine de puits creusés

Comment l’EIA a-t-elle pu se tromper pareillement ? « Le bassin polonais paraissait avoir toutes les données géologiques pour abriter beaucoup de gaz de schiste. Mais la seule façon de savoir vraiment, c’est de faire des puits d’exploration », décrypte Roland Vially, géologue à l’Institut Français du pétrole (IFP). Déjà, une trentaine de puits ont été creusés. Il en faudra peut-être une centaine pour se faire une idée juste. Et après ? « Ce n’est pas parce qu’on trouve un mètre cube de gaz qu’on va pouvoir le récupérer, estime Roland Vially.

Le taux de récupération va diverger en fonction des caractéristiques géologiques de la zone, du prix du gaz sur les marchés ou des contraintes environnementales. « On ignore encore en Pologne si le gaz de schiste sera rentable ou pas », résume Piotr Spaczynski, associé d’un cabinet d’avocats conseillant les opérateurs sur le sujet. Le couperet est tombé pour Exxon Mobil. Le 18 juin, après avoir puisé deux puits sans trouver de ressources « en quantité commerciales », le pétrolier américain a retiré ses billes.

Rêve d’autonomie

Le gouvernement ne se décourage pas. « Leur stratégie a toujours été clairement pro-gaz. Ils veulent lancer la production dès 2014. Et même, maintenant que les prévisions ont été revues à la baisse, ils n’ont pas revu leur plan. On dirait qu’ils ne prennent pas en considération les rapports. Ils parlent d’autonomie, de construire des gazoducs pour exporter le gaz ou des usines flottantes de liquéfaction offshore. C’est ridicule », estime Andrzej Szczęśniak, expert polonais en gaz et pétrole.

Il faut dire que l’enjeu est de taille. Il s’agit pour la Pologne de gagner en autonomie. Car le pays consomme 14% de son énergie sous forme de gaz dont elle importe près des deux tiers de Russie. Et elle a déjà payé le prix de cette dépendance. En 2009, la Russie a coupé l’arrivée de gaz vers l’Ukraine, percluse de dettes, et privé d’énergie la Pologne et ses voisins. Varsovie voit aussi dans le gaz de schiste un moyen d’alléger sa facture en CO2. En effet, 93% de l’électricité consommée dans le pays vient de centrales à charbon, qui émettent deux fois plus que les centrales à gaz.

Bienvenue en Pologne : le pays où tout est moins cher

Du coup le pays continue de miser gros. Le gouvernement a d’ores et déjà distribué 120 permis d’exploration à Chevron, Talisman Energy Inc. (TLM), Total… Des permis « qui sont quasiment donnés gratuitement, estime Andrzej Szczęśniak. Ils se monnaient en dizaines de milliers de dollars. Bien en dessous des prix pratiqués aux Etats-Unis. » Et pour assurer le succès de sa campagne, le gouvernement s’appuie sur des conférences où l’on distribue des documents (voir l’exemple ci-dessous) vantant les mérites de la Pologne, royaume des investissements : des royalties bas, un taux faible d’imposition sur les sociétés (19% contre 30% au Royaume-Uni, 31% en Allemagne ou 34% en France).
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L’écologie ? Et alors ?

Pas question de s’arrêter aux questions écologiques. En février, rapportait le Petit Journal, le ministre des Affaires étrangères, en visite à Paris, déclarait : « Les techniques de fracturation des roches sont utilisées depuis cinquante ans. (…) Les dernières études scientifiques que je connais, des Etats-Unis, du Canada ou de Grande-Bretagne, ne confirment pas la propagande sur les dégâts pour l’environnement. » « Il y a bien les ONG qui s’opposent à l’exploitation des gaz de schiste, mais leur discours n’est pas soutenu par le gouvernement ou les médias. C’est un mouvement plutôt faible en Pologne », abonde Andrzej Szczęśniak.

Avec la fonte soudaine des estimations polonaises, c’est la France qui se retrouve assise sur les plus grosses réserves de l’UE. Virtuellement en tout cas. Car faute de recherches poussées, ces estimations peuvent s’avérer aussi fantaisistes que les prévisions polonaises. « Les chiffres pour la France n’engagent que ceux qui les ont publiés, précise Roland Vially. Il y en a peut-être plus, peut-être moins. Je ne peux pas en dire plus. De toutes façons, depuis la loi du 11 juillet 2011 [1] , les choses sont en suspens… »