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J’ai rêvé d’une France 100% renouvelable
jeudi, 30 août 2012 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Fermez les yeux et regardez. Notre pays n’est plus un champion de l’atome et ne dépense plus des milliards en hydrocarbures. Non, il fait désormais confiance à ses habitants et les laisse décider localement des sources d’énergie les mieux adaptées à leur territoire. Et ça marche. Le songe d’une nuit d’été ? Et si c’était vrai ?

Tous les matins, lorsque Maëlle ouvre les volets et que la lumière pénètre sa chambre, elle sourit. « Le ciel est clair », songe-t-elle. Les jours de grand beau, mais aussi les jours couverts et chargés. « Le ciel est clair », se répète-elle… Depuis plus de dix ans, les colonnes de fumée blanche qui s’élevaient de la centrale nucléaire du Haut-Bugey, dans l’Ain, se sont évanouies. Disparues, ces volutes qui planaient toujours au-dessus des têtes, comme un oiseau de mauvais augure. Et, avec elles, les lourdes plaisanteries que les invités peu coutumiers de ces étranges nuages ne manquaient jamais de faire lors des déjeuners sur la terrasse. Maëlle, sa famille et les voisins, ils y étaient habitués. Mais les autres, ceux qui vivaient loin, leur rappelaient sans cesse qu’un danger était bien là, tapi de l’autre côté du jardin. L’installation et ses quatre énormes réacteurs plantés au milieu de la Plaine de l’Ain et visibles jusqu’aux contreforts des massifs environnants ont été démantelés.

Elle fait pourtant toujours autant parler d’elle. Sur la proche autoroute, les « T’as vu, elle est là ! », ont été remplacés par les « C’était là qu’elle était ! ». La centrale, on ne l’oublie pas comme ça. Certains matins, mal réveillée, Maëlle se surprend encore à sursauter quand sa main cherche le réveil sans frôler sa boite de comprimés d’iode. Depuis 1997, elle devait toujours l’avoir à proximité, « au cas où ». Au cas où ça pète. Pour protéger sa thyroïde.

Lorsqu’elle s’assoit au soleil pour prendre son café matinal, la jeune femme s’étonne encore de ce drôle de passé, encore si proche. On consommait tellement ! Le carburant, les aliments, tous les équipements dernier cri, plus ou moins utiles, d’ailleurs. La donne a changé. Sa maison est devenue intelligente. Si, si ! Un compteur lui indique sa consommation en temps réel et ses appareils électroménagers décident comme des grands de ronronner pendant les plages horaires où l’énergie est la plus abondante et la moins chère.

Coup de pouce secret

Maëlle comprend également mieux, désormais, ce qu’elle paye quand elle règle sa facture énergétique. Dans son portefeuille, elle a toujours sa carte QEE, pour « Quota d’énergies échangeables ». Tous les ans, elle reçoit en effet un quota d’émissions de carbone à dépenser et, à chaque achat, sa carte est débitée en fonction du poids écologique de son carburant, de ses meubles en bois ou de ses tomates. Elle a évidemment appris à acheter plus local, de saison. A moins acheter, aussi. Année après année, le quota attribué n’a d’ailleurs fait que diminuer, pour soutenir l’effort général de réduction de consommation énergétique. Peu lui importe : elle s’est adaptée et il lui reste même toujours quelques crédits inutilisés. Certains de ses amis n’hésitent pas à revendre ces surplus pour arrondir leurs fins de mois. Pas elle : elle préfère les laisser se perdre dans la nature. Pour la nature !

Grâce à ce coup de pouce secret, elle sait qu’elle participe au grand défi du XXIe siècle. En quelques dizaines d’années, la consommation d’énergie a été réduite de moitié et les renouvelables se sont substituées à leurs polluantes ancêtres fossiles. Près de chez elle, un mini-réseau d’énergie a été créé. C’est désormais sa commune – Ambérieu-en-Bugey – qui gère les ressources énergétiques, de la production à la distribution. Les habitants de la petite ville ont passé des soirées entières à débattre des filières à développer, à imaginer les projets les plus fous. Un cocktail a finalement emporté le morceau : avec le puissant Rhône et les nombreux petits cours d’eau qui serpentent dans la région, le territoire carbure désormais à l’hydroélectrique. Devant elle, la plaine battue par les vents et offerte au soleil est aussi parsemée d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. La technologie a fait des progrès : tous ces appareils sont plus silencieux et plus discrets que les géants des années 2000. Elle s’y est habituée et, même, a appris à les aimer !

Chiens écrasés et coucheries

Dans la brise matinale, elle songe au dîner de la veille, en compagnie de ses parents, venus de Bretagne. Depuis quelques années, les repas de famille ont pris une autre tournure. Oubliées les chiens écrasés et les histoires de coucherie dans le voisinage : grâce à ces comités participatifs, chacun semble devenu « expert ès énergies renouvelables » et défend – parfois mordicus – sa chapelle. Quand sa mère et son père ne jurent que par le marémoteur, elle explique dans les menus détails les avantages du photovoltaïque. Heureusement, tout le monde se retrouve sur l’éolien, commun aux deux régions !

La Plaine de l’Ain a d’ailleurs de la chance : grâce à son environnement, elle n’est presque jamais déficitaire. Elle exporte même un peu d’énergie vers les régions voisines, plus mal loties, quand elles souffrent de production insuffisante. Et dire que, à une époque pas si lointaine, l’électricité parvenait chez elle de façon quasi magique, comme tombée du ciel, produite par d’immenses installations centralisées. Le monde est devenu plus solidaire, se répète-t-elle. Et ça la réconforte. Les projets ont retrouvé du sens localement et les échanges, fussent-ils d’énergie, de leur valeur.

Coopérative énergétique

Il y a dix ans, Maëlle a d’ailleurs décidé de s’associer à ce grand élan de solidarité énergétique. Sa modeste propriété de campagne a la chance d’être traversée par un cours d’eau. Le débit n’y est pas constant, mais suffisant pour y installer une structure de micro-hydroélectricité. Elle a obtenu de jolies subventions pour la mettre en place. Quelques jours après les premiers ronronnements des petites turbines, elle n’en a pas cru ses yeux : elle produisait de l’énergie chez elle, et même plus que ce dont a besoin son ménage ! Le surplus de production n’est évidemment pas perdu : il part alimenter la toute proche coopérative énergétique, qui le redistribue dans le mini-réseau local d’électricité.

Grain de sel et toit de verre

Un coup d’œil à sa montre. Il est l’heure d’attaquer la journée. Maëlle enfourche son vélo. Après quelques coups de pédale, elle passe devant la propriété des Colin, paysans bios qui avaient laissé certains de leurs champs en jachère depuis plusieurs années. Un jour, ils sont venus la voir : ils voulaient s’inspirer de son projet et installer, eux aussi, leur propre structure. En l’occurrence, des panneaux photovoltaïques. Sur la commune, c’est même devenu un jeu. Tout le monde – ou presque – cherche comment produire sa propre énergie ! Et ceux qui n’ont pas de terrain ne sont pas en reste : pas un mois sans qu’un nouveau programme ne se lance dans les environs. Tout le monde peut ajouter son grain de sel et ses idées.

Dernièrement, c’est une drôle de ferme qui a vu le jour : un toit de verre vient de chapeauter un ancien centre commercial. En lieu et place des boutiques commencent désormais à pousser des fruits et légumes sous serre ! Le bâtiment, bardé de panneaux photovoltaïques, s’autoalimente en énergie. Sur son chemin, Maëlle y remplit son cabas pour le déjeuner au bureau. Dans les allées, elle esquisse un sourire. Qui eût cru qu’un symbole de la consommation de masse deviendrait un temple de la production durable et renouvelable ? —

ENQUETE Plein vent et plein soleil sur l’Hexagone Un pays qui dirait adieu au nucléaire, au gaz, au charbon, au pétrole, c’est peut-être la réalité de demain. En France, des territoires sont déjà engagés sur la voie du changement.
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LE QUIZ Viens, je t’emmène au vent, à l’eau, au soleil ! Prêt(e) pour les renouvelables ? Incollable sur le sujet ? Répondez à notre questionnaire pour le savoir.

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